vendredi 7 août 2009

Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur

Pour Pascale et Agnès.

On est là, bien tranquille, on sirote un verre de tariquet, puis un autre – une deuxième bouteille est au frais, qui attend –, on devrait être parfaitement détendu, le temps des visites est clos depuis déjà une demi-heure, la soirée et la nuit semblent s'accorder pour nous complaire.

Seulement, il est là, à nous toiser depuis son socle, entre la cheminée perpétuellement froide et la porte ouvrant sur le vide. Plus exactement, ils sont là : l'humain au sourire tantôt indulgent tantôt sarcastique, dont toute la partie droite de la tête est mangée par la lèpre du masque, lui-même s'essayant au sourire malgré son œil unique, inconscient sans nul doute de ses accointances de traits avec Nyarlathotep, le “Chaos rampant” sorti des rêves de Lovecraft.

Le visage d'homme, la partie droite (pour le buveur de tariquet) de ce Calme bloc, nous est apparu dès le premier soir, une fois la nuit presque tombée, car les créatures de Marcheschi, celles-ci au moins, s'accommodent assez mal du plein soleil et ne prennent vraiment figure que sous la lumière leur tombant de la poutre maîtresse.

Le lendemain, sous l'effet du même breuvage, la partie gauche du bloc a pris forme à son tour, avec sa bouche fendue en accent circonflexe retourné, son nez asiate, mongoliforme, et cette fente unique de l'œil droit. Catherine y vit un masque, et moi une créature non-humaine mais vivante, l'un de ces Grands Anciens créés par le hibou de Providence (Rhode Island).

Le surlendemain, il m'apparut que l'œil droit de Nyarlathotep (j'avais arbitrairement décidé que le Calme bloc devait procéder du “Chaos rampant”, plutôt que de Chtulhu ou de Yog-Sothoth) pouvait aussi être l'œil gauche d'un troisième personnage, mi-boudeur, mi-furieux, au menton fuyant, dont on ne distinguerait que le profil en demi-lune. Ainsi, au fil des soirs, les créatures se multipliaient, tout en restant étroitement imbriquées, enchevêtrées, prisonnières (ou garantes ?) les unes des autres, toutes procédant de chacune et réciproquement.

Il y a une dizaine de minutes, ayant déjà commencé d'écrire ce billet, je suis allé vérifier l'orthographe exacte de Nyarlathotep ; et me suis alors avisé que, chez Lovecraft, le premier avatar du “Chaos rampant” n'était autre que le Pharaon noir – ce qui nous ramenait en droite ligne à Jean-Paul Marcheschi, sculpteur du Calme bloc.

Depuis, mes chevilles sont dans un état de tumescence inquiétant. Et je songe à mettre la pédale douce sur le tariquet, de crainte de voir, soir après soir, en face du canapé, se multiplier les entités métalliques et luisant sous la lumière.

13 commentaires:

  1. Magnifique photo ! Merci ! Mais je tempère l'enthousiasme ambiant : à jouer le châtelain, vous finissez par avoir les chevilles qui gonflent.... (énorme smiley). Amitiés à Catherine.

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  2. Nyarlathotep !

    Bigre ! Une incantation digne d'un tueur en série de la banlieue en décadence d'un Chicago postmoderne !
    L'époque a déjà sa statue du commandeur et elle est pas drôle.

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  3. Un genre de caméra de surveillance paléolithique, ça fout les jetons, votre caillou.

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  4. En tout cas la photo est sensass !!!

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  5. C'est curieux, je n'ai jamais regardé le Calme bloc sous cet angle-là ni ne l'ai d'ailleurs vu dans cette lumière. C'est peut-être que j'ai préféré (pour l'apéro) la petite table, au pied des marches dans le jardin, avec la vue offerte sur les murs du château.
    Merci, Didier, pour ce billet !
    Et enchantée, Agnès, de te croiser dans ces parages !
    Bon, maintenant, il va falloir réussir à poster correctement ces trois lignes et ce n'est pas gagné...

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  6. Tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change...
    ...où un bâtisseur qui ne croit plus qu'aux ruines et une photographe qui capte la fugacité du temps se rejoignent dans leur quête d'un paisible acquiescement...

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  7. Notre dernier visiteur de la journée a vu une quatrième figure (sorte de sorcière), totalement à droite. Catherine l'a discernée, un peu plu tard – moi, j'attends demain...

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  8. Merci pour cette aimable dédicace ! Et pour ce billet qui me donne l'impression d'entrer un peu en ce château, où je ne suis jamais allée encore. J'aurais beaucoup aimé m'y rendre en juillet lorsque l'amie Pascale régnait en ces lieux ! Et j'aurais beaucoup aimé aussi pouvoir vous y rendre une petite visite. Mais bon... disons que ce sera pour l'an prochain !
    Sur l'oeuvre qui vous nargue du haut de son piédestal pendant vos dégustations de Tariquet (vous ne mettez pas de majuscule ?), je crois cependant que je partage l'avis de Mère Castor...

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  9. Pour la majuscule, j'hésite : sur l'étiquette, toutes les lettres sont en majuscule...

    Sinon, oui, le Calme bloc pourrait arriver à foutre les jetons (mais il y a le tariquet comme contre-poison...).

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  10. un bon vieux pastis devrait vous soigner ces chevilles ;-)

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  11. Pour la Saint Dominique,
    il y a beaucoup de choses à faire !
    Signé Soeur Sourire.

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  12. Soeur Sourire est parfois d'un libidineux...

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La boutique est rouverte… mais les anonymes continueront d'en être impitoyablement expulsés, sans sommation ni motif.