samedi 31 octobre 2009

Préambule, incipit, aporie et autres babioles littéraires

Le dernier roman de mon Saint-pierrais préféré commence par un court préambule, que je vous livre sans davantage barguigner :

« “Vous avez vécu un an en Alaska ?
– Neuf mois exactement : de septembre 1966 à mai 1967.
– Dites-nous les circonstances de votre départ.
– Je suis en Méditerranée, à Port-Cros. Le soleil se couche sur le fort de l'Estissac. Pont-levis et bougainvillées. Un journal traîne par terre. À la rubrique “Offres d'emploi”, je vois annoncé un poste de lecteur à l'Université d'Alaska. La radio diffuse La Nuit transfigurée de Schönberg, je rédige ma demande à la lueur de la bougie.
– Vous recevez, fin août, à Paris, une réponse affirmative ?
– Oui.”

« Comme si j'avais pris la précaution de me photographier, de laisser de moi une image qui me permettrait de revenir là-haut, je m'aperçois à contre-jour, un mois plus tard, sur le campus. Dans mon chalet, debout, devant la table, je suis penché sur un livre. Tu perdras le sommeil au fur que tu perdras la vue. Je relis la première phrase du Compact de Maurice Roche, au ton prophétique de laquelle je tente d'accorder mon propre incipit : On entendra le craquement de tes pas sur la neige parfaitement sèche. Le printemps me surprendra dans cette même pièce, allongé sur le sofa. Dès trois heures du matin, en mai, la lueur du jour indique que les oiseaux chantent. »

Qualifier la phrase citée d'incipit constitue une sorte d'aporie, puisque précisément, il lui est besoin d'une introduction avant de pouvoir apparaître. Et non seulement d'une introduction mais plus précisément d'un autre incipit – un incipit “premier”, ou un préincipit qui se rapproche dangereusement du précipice –, appartenant à un autre livre, lui-même écrit par un autre auteur. On se dit que, peut-être, le préambule que l'on vient de lire ne “compte” pas, et que les pas sur la neige sèche vont ouvrir la première partie qui s'annonce maintenant. Non, pas davantage. La phrase reste absente. Et l'on s'en console en relisant l'intitulé de cette première partie : La fille perdue dans la sonate.

On rêvasse un moment, avant d'embarquer.

La rédaction a reçu ça...

Nathalie, sœur d'Irremplaçable de son état, nous a fait parvenir La Cigale et la Fourmi, déclinée en deux versions. Un peu facile, mais toujours savoureux...


VERSION SUISSE

La fourmi travaille dur tout l'été dans la canicule.

Elle construit sa maison et prépare ses provisions pour l'hiver.

La cigale pense que la fourmi est stupide, elle rit, danse et joue.

Une fois l'hiver venu, la fourmi est au chaud et bien nourrie.

La cigale grelottante de froid n'a ni nourriture ni abri, et meurt de froid.

FIN ?


VERSION FRANCAISE

La fourmi travaille dur tout l'été dans la canicule.

Elle construit sa maison et prépare ses provisions pour l'hiver.

La cigale pense que la fourmi est stupide, elle rit, danse et joue tout l'été.

Une fois l'hiver venu, la fourmi est au chaud et bien nourrie.

La cigale grelottante de froid organise une conférence de presse et demande pourquoi la fourmi a le droit d'être au chaud et bien nourrie tandis que les autres, moins chanceux comme elle, ont froid et faim.

La télévision organise des émissions en direct qui montrent la cigale grelottante de froid et qui passent des extraits vidéo de la fourmi bien au chaud dans sa maison confortable avec une table pleine de provisions.

Les Français sont frappés que, dans un pays si riche, on laisse souffrir cette pauvre cigale tandis que d'autres vivent dans l'abondance.

Les associations contre la pauvreté manifestent devant la maison de la fourmi.

Les journalistes organisent des interviews, demandant pourquoi la fourmi est devenue riche sur le dos de la cigale et interpellent le gouvernement pour augmenter les impôts de la fourmi afin qu'elle paie 'sa juste part'.

La CGT, Le Parti Communiste, la Ligue Communiste Révolutionnaire, les Gay et Lesbian Pride, organisent sit-in et manifestations devant la maison de la fourmi.

Les fonctionnaires décident de faire une grève de solidarité de 59 minutes par jour pour une durée illimitée.

Un philosophe à la mode écrit un livre démontrant les liens de la fourmi avec les tortionnaires d' Auschwitz.

En réponse aux sondages, le gouvernement rédige une loi sur l'égalité économique et une loi (rétroactive à l'été) d'anti-discrimination.

Les impôts de la fourmi sont augmentés et la fourmi reçoit aussi une amende pour ne pas avoir embauché la cigale comme aide.

La maison de la fourmi est préemptée par les autorités car la fourmi n'a pas assez d'argent pour payer son amende et ses impôts.

La fourmi quitte la France pour s'installer en Suisse où elle contribue à la richesse économique.

La télévision fait un reportage sur la cigale maintenant engraissée. Elle est en train de finir les dernières provisions de la fourmi bien que le printemps soit encore loin.

Des rassemblements d'artistes et d'écrivains de gauche, se tiennent régulièrement dans la maison de la fourmi. Le chanteur Renaud compose la chanson 'Fourmi, barre-toi!'...

L'ancienne maison de la fourmi, devenue logement social pour la cigale, se détériore car cette dernière n'a rien fait pour l'entretenir.

Des reproches sont faits au gouvernement pour le manque de moyens.

Une commission d'enquête est mise en place, ce qui coûtera 10 millions d'euros.

La cigale meurt d'une overdose.

Libération et L'Humanité commentent l'échec du gouvernement à redresser sérieusement le problème des inégalités sociales.

La maison est squattée par un gang de cafards immigrés. Les cafards organisent un trafic de marijuana et terrorisent la communauté...

Le gouvernement se félicite de la diversité multiculturelle de la France.

VIVE LA FRANCE ET LES CONS QUI PAYENT DES IMPOTS.


Voilà, voilà...

À la demande générale...

Hier soir, même pas bourré, j'ai publié ici un billet très ironique et un peu méchant sur un blogueur qui, comme tout le monde en ce moment, blablatait sur l'identité nationale – sujet bateau par excellence. L'un de mes plus fidèles lecteurs, tout en reconnaissant volontiers que le gaillard visé est un con, m'a suggéré de le supprimer (le billet, pas son auteur) pour diverses raisons. Me sentant ce matin d'humeur magnanime, voire bonasse, j'ai accédé à sa requête : mille pardons à ceux qui avaient pris la peine de laisser un commentaire...

De toute façon, mon correspondant a raison : si on commence à cogner sur tous les crétins, on ne fera bientôt plus que ça du matin au soir. Et inversement.

vendredi 30 octobre 2009

Ambiance de merde (et Didier Goux bien puni)

En un sens, c'est bien fait pour ma tronche. Il y a peu, juste avant les coups de deux heures, je me dirigeais d'un pas viril vers la boulangerie pour y faire l'emplette d'un sandwich thon-crudités, Giorgio Bassani sous le bras, quand l'envie m'a poigné d'un risotto aux champignons et d'un pichet de sauvignon. Je ne suis pas censé, à midi, me livrer à des dépenses aussi somptuaires mais, mesquinement, je me suis dit qu'après le bouquet de roses d'hier, l'Irremplaçable n'oserait pas trop gueuler aux petits pois. J'ai donc parcouru trois mètres cinquante de plus et ai poussé la porte de L'Ambiance d'à côté.

Le difficile, dans ce restaurant très mal insonorisé, est de bien choisir sa place, surtout si l'on prétend lire en déjeunant, ce qui se trouvait être mon cas. D'un coup d'œil expert, je remarque que la salle de gauche (l'ancienne salle "fumeurs"...) est relativement désencombrée. Et que les deux filles installées au fond en sont déjà au café. C'est donc très logiquement que je décide de bivouaquer dans leurs parages immédiats. Mal m'en a pris.

D'abord parce que, au moment où je suis ressorti de l'établissement, elles y étaient encore, ces deux malfaisantes. Et surtout, parce que l'une d'elles, non contente d'être laide, la trentaine mais vieille par anticipation, aigre de le savoir, n'a pas arrêté de jacter, d'une voix forte et ferrugineuse, de choses parfaitement inintéressantes, "professionnelles", et dans une langue répugnante (« En fait, à partireu d'là, c'qu'est important, tu vois, c'est l'bouche-à-oreille... »). Au point que j'avais le plus grand mal à m'imaginer dans les ruelles de Ferrare et à y suivre M. Bassani.

Vers la fin du repas, j'en suis arrivé à me dire que ce devait être l'esprit malin de l'Irremplaçable qui m'avait envoyé ces deux sorcières sonores pour me punir d'ainsi gaspiller l'argent du ménage : la parano n'était pas loin...

Pourtant, je ne regrette rien. Hier après-midi, fumant une cigarette en bas, je me suis soudain demandé ce que devenait Jean-Pierre Lacoste, pas vu depuis des mois. Ce Lacoste-là est directeur artistique du magazine Onze. Je le connais depuis 25 ans, l'époque où je travaillais (et lui aussi) rue de Berri et où nous allions régulièrement déjeuner ensemble, avec deux ou trois autres journaleux, dont Jean-Michel Larqué (celui-là, je le cite uniquement pour faire baver les footeux âgés...) Et, tout à l'heure, quittant L'Ambiance, qui vois-je entrer dans la boulangerie jouxtative ? Mon Lacoste. On a parlé une dizaine de minutes au milieu de ce que j'hésite à qualifier de "rue", et on s'est séparé très satisfaits l'un de l'autre.

De plus, le risotto était acceptable.

Orage fait sa savante

Maintenant, vous le saurez !

jeudi 29 octobre 2009

Ce soir, j'ai niqué l'Irremplaçable...

Putain, quinze ans... Ce 29 octobre 1994, en la mairie de Beaulieu-sur-Loire – Loiret –, nous nous épousâmes, l'autre folle et moi-même. Il faut croire que nous étions fous tous deux, puisque, mariés, nous le sommes toujours. Et que, à ma connaissance (mais nul n'est à l'abri d'une mauvaise surprise), il ne semble pas être question d'une rupture. Je le revois très bien, ce 29 octobre 1994. D'abord, qui peut se vanter d'avoir ce merveileux chanteur qu'est Kent comme témoin ? Hein ? Eh bien, moi.

Et qui peut se flatter d'avoir, le soir même, dîné dans ce merveilleux restaurant, l'un des premiers “ Relais & Châteaux” de l'histoire, à la table voisine d'Alain Delon et de sa gonzesse de l'époque (actuellement Mme Afflelou) ? Moi encore. Je signale, par parenthèse, que la grande brune hollandaise en question, a passé le dîner buvant du Schweppes – ce qui pousserait soit à mitrailler à la kalachnikov cette somptueuse pétasse (sans dec', elle était vraiment somptueuse), soit à rayer de la carte le pays d'où elle vient. – Bref.

On reprend. Ce soir, donc, 29 octobre, c'était mon 15e anniversaire de mariage : le genre de truc donc les mecs n'ont rien à branler, mais qui fait pleurer les filles. Bon, les autres années, en général, je fais celui qui s'en tape. Mais, là, pour une raison qui m'échappe à moi-même, j'ai décidé de marquer le coup. Donc, revenant de Levallois, je me suis arrêté chez le marchand de fleurs de Pacy. Je m'étais renseigné, tout de même – auprès de filles et de garçons. Tous étaient d'accord : des roses rouges, bordel ! Bon, OK, comme vous le sentez.

Donc, je pénètre dans cet antre inconnu pour moi : une boutique de fleuriste. J'ai la trouille, je ne le cache pas. L'impression qu'on va se foutre ouvertement de ma gueule. Je me fais aussi petit qu'on peut l'être quand on fait 1,89 m et 103 kg. Je tombe sur une très jeune fille, assez boutonneuse : on dirait moi à l'adolescence, ça me la rend d'emblée sympathique, forcément. Je comprends bien, d'entrée, que je ne dois rien lui demander, quant aux subtilités du langage des fleurs. Donc, je décide de faire basique : 15 ans de mariage, 15 roses rouges. On peut difficilement faire plus con.

Elle emballe l'affaire (les 15 roses, donc). Dans le même temps, je me fais chier “grave” : on m'attend à la maison pour l'apéro, bordel ! Mais je jouis, tout de même : gros con de mec, jamais je n'ai offert de fleurs à l'Irremplaçable, ni pour cet anniversaire commun, ni même pour le sien propre. Bourrin je suis. Et puis, tout de même, sur le comptoir de ce fleuriste, il ya un petit panier de bonbons, à destination des clients en attente, comme moi. Ces bonbons sont des “Régal'ad”, des machins à l'orange ou au citron, qui collent gravissime aux dents, et que j'adorais quand j'avais... Combien ? 14 ans ? Oui, à peu près. Je bouffais de ces saloperies quand j'allais au cinéma de Châteaudun, vers 1971, rendez-vous compte. – Tout change, sauf les Régal'ad. À cette différence que, dans ma jeunesse, les bonbons à l'orange étaient orange, et ceux au citron jaune fluo : aujourd'hui, ils collent pareil aux dents mais ils sont tous blancs. Néanmoins, pendant que la petite fille m'empaquetait mes roses, je me suis payé un violent retour, parfaitement délicieux.

Là-dessus, la petite boutonneuse pose une question difficile : “Qu'est-ce que je mets comme autocollant ?” Je regarde. J'ai le choix entre “Plaisir d'offrir”, “Bon anniversaire”, etc. J'en avise un autre et ne me retiens pas de lui dire : “J'aimerais bien qu'on mette celui-ci : Sincères condoléances.”

Son visage, déjà béant, bée encore plus, au point que je me sens obligé de préciser rapidement : “C'est un gag”. Elle ne comprend pas le gag, ma chère boutonneuse, mais semble soulagée d'apprendre que rien de tout cela n'est vraiment sérieux.

Quand j'ai raconté cette petite histoire à Catherine, elle a trouvé, comme moi, que le petit papillon “sincères condoléances” aurait été vraiment drôle. Et j'ai compris (le sachant déjà) pourquoi j'avais mieux fait d'épouser Catherine plutôt que la petite boutonneuse marchande de fleurs. – Que je recommande, néanmoins, si vous êtes un jeune crétin de moins de trente ans : elle a l'air toute gentille.

Néanmoins, si on pouvait effacer l'ardoise magique et tout reprendre de zéro, je me demande si je ne réépouserais pas Catherine. Vous dire à quel point les mecs sont cons, et notamment moi...

mardi 27 octobre 2009

Le drame du lecteur crucifié – réaction en chaîne

Il y a une vingtaine de minutes, j'ai achevé la lecture de cette Essence du politique dont je vous rebats les oreilles depuis quelques jours – semaines, même. Mais, bien entendu, selon le phénomène connu, provoqué par tous les livres riches, il ne s'agit là que d'un commencement : la découverte en appelle d'autres, qui se font pressantes, impérieuses, revendicatives presque, alors qu'elles nous laissaient en repos depuis la nuit des temps – je veux dire : de mon temps.

Ainsi, l'excellent Hoplite me signale que je devrais bien me plonger dans l'œuvre de Christopher Lasch, sitôt que j'aurai “essoré la pensée de Freund”. Il s'en faut de beaucoup que j'aie essoré cette pensée : déjà bien heureux si j'ai pu en exprimer quelques gouttes. Mais enfin, soit : requérons Mme Amazon afin qu'elle nous expédie à grande vitesse un ou deux livres de ce Lasch-là.

Le problème est que la lecture de Freund m'a déjà poussé, hier, à lui commander le Léviathan de Hobbes et le Prince de Machiavel. Et j'ai dû faire appel à toute ma raison financière pour ne pas y adjoindre quelques volumes de Max Weber, Carl Schmitt, voire Alain et Proudhon ; tous auteurs que j'aurais normalement dû lire, comme toute âme bien née, entre 18 et 25 ans, mais dont ma paresse intellectuelle m'avait alors tenu éloigné. (Quoique, dans le cas d'Alain, il s'agisse moins de paresse que d'un dégoût provoqué par un professeur de philosophie particulièrement léthargique, et donc somnifère...)

Par quoi commencer ? Comment s'y prendre pour reconstituer le puzzle ? Et y a-t-il seulement un puzzle, une figure finalement identifiable ? Un secret qui ne demande qu'à se dévoiler, un paysage à se révéler ? Ou bien rien ? Un méandreux labyrinthe dont mon âge ne me permettra plus de comprendre le dessin, encore moins d'en ressortir indemne ? Que faire ? comme disait Lénine. D'autant que, tout à l'heure, j'ai commis l'imprudence d'entrouvrir Le Monde de Schopenhauer (encore une lecture tardive dont on espère peut-être en vain une quelconque pourriture noble) arrivé il y a deux jours dans la boîte-à-livres fixée au portail.

Mais, ça, l'irruption d'Arthur dans ma vie bien rangée, Julien Freund n'y est absolument pour rien : c'est la faute à Matzneff.

lundi 26 octobre 2009

Y en a un peu plus : je vous le mets quand même ?

À Jean-Baptiste Bourgoin, perdu et retrouvé...

« Salus populi suprema lex, cet adage aucune collectivité ne peut le renier sans courir à sa perte. Pour elle il s'agit de vaincre l'ennemi, non pas de s'interroger avec scrupules sur les moyens employés, et d'autre part de vivre dans la plus grande prospérité sans toujours regarder au prix. La politique est dure, parfois impitoyable au regard des exigences de la pureté morale. Une collectivité a besoin de bonne conscience. Celle-ci peut être irritante aux autres, à ses voisins et à ses ennemis, encore qu'il faille soi-même avoir bonne conscience pour en faire le reproche aux autres. Dès qu'une unité politique est ravagée par le complexe de culpabilité, elle perd tout dynamisme politique, elle doute d'elle-même et ou bien elle se jette dans les bras de celui – fût-ce un aventurier – qui a su réveiller son besoin de bonne conscience ou bien elle est prête à tomber sous la dépendance de l'étranger qui ne s'embarrasse point de scrupules. La conscience collective d'une faute signifie politiquement un échec, car la culpabilité apparaît comme un aveu de faiblesse, d'impuissance. »

Julien Freund, L'Essence du politique, Dalloz, p. 673.

La Liberté, on pourra toujours s'asseoir dessus...

À Hoplite, qui m'a lancé sur cette piste...

« Aucune collectivité ne saurait demeurer unie ni durer si ses membres n'éprouvent pas la nécessité de participer pour ainsi dire effectivement à l'ensemble social qu'ils constituent. Un pays sans patrimoine commun, qu'il soit d'ordre culturel, ethnique, linguistique ou autre, n'est qu'une création artificielle, incapable de résister aux épreuves de la politique. On a beau ironiser sur le concept de patrie et concevoir l'humanité sur le mode anarchique et abstrait comme composée uniquement d'individus isolés aspirant à leur seule liberté personnelle, il n'empêche que la patrie est une réalité sociale concrète, introduisant l'homogénéité et le sens de la collaboration entre les hommes. Elle est même une des sources essentielles du dynamisme collectif, de la stabilité et de la continuité d'une unité politique dans le temps. Sans elle, il n'y a ni puissance ni grandeur ni gloire, mais non plus de solidarité entre ceux qui vivent sur un même territoire. On ne saurait donc dire avec Voltaire, à l'article Patrie de son Dictionnaire philosophique, que “souhaiter la grandeur de son pays, c'est souhaiter du mal à ses voisins”. En effet, si le patriotisme est un sentiment normal de l'être humain au même titre que la piété familiale, tout homme raisonnable comprend aisément que l'étranger puisse éprouver le même sentiment. Pas plus que l'on ne saurait conclure de la persistance des crimes passionnels à l'inanité de l'amour, on ne saurait prendre prétexte de certains abus du chauvinisme pour dénigrer le patriotisme. Il est même une forme de la justice morale. C'est avec raison qu'Auguste Comte a vu dans la patrie la médiation entre la forme la plus immédiate du groupement, la famille, et la forme la plus universelle de la collectivité, l'humanité. Elle a pour raison le particularisme qui est inhérent au politique. Dans la mesure où la patrie cesse d'être une réalité vivante, la société se délabre, non pas comme le croient les uns au profit de la liberté de l'individu, ni non plus comme le croient d'autres à celui de l'humanité ; une collectivité politique qui n'est plus une patrie pour ses membres cesse d'être défendue pour tomber plus ou moins rapidement sous la dépendance d'une autre unité politique. Là où il n'y a pas de patrie, les mercenaires ou l'étranger deviennent les maîtres. Sans doute devons-nous notre patrie au hasard de la naissance, mais il s'agit d'un hasard qui nous délivre d'autres. »

Julien Freund, L'Essence du politique, Dalloz, p. 661.

dimanche 25 octobre 2009

Une, ça va ; c'est quand elles sont nombreuses que, etc.

Quoi de plus mignon qu'une coccinelle ? La “bête à bon Dieu”, n'est-ce pas... Trois coccinelles qui vagabondent dans le rosier, ça devient franchement craquant – d'autant qu'elles génocident les pucerons à qui mieux mieux. À partir de vingt coccinelles, le bipède a tendance à froncer un peu les sourcils. Et, au-delà de cinquante, il ressort la tapette à mouches du placard et commence le massacre.

Depuis deux jours, les murs extérieurs de la maison sont constellés de ces bestioles : rien que dans la gamelle d'eau des cadors, il y en a au moins quinze qui terminent gentiment leur noyade. C'est que ça ne voyage pas en solitaire, la coccinelle asiatique.

« Érigée en symbole de la lutte biologique contre les « ennemis des cultures » tels que les pucerons, la coccinelle asiatique a été importée de Chine dans tout l'hémisphère nord pour cet usage. »

Voilà ce qu'on nous dit dans Wikipedia. En gros, la coccinelle chinoise est venue faire le boulot que les coccinelles françaises, devenues trop faignasses et vaguement obèses sur les bords, ne voulaient plus faire. Rien à dire, donc. Et Wikipedia de poursuivre :

« Après être restée discrète plusieurs décennies, elle s'est rapidement montrée invasive, peut-être même à partir d'individus aptères et réputés ne pas pouvoir passer l'hiver. Par exemple, en vente en Belgique depuis 1997, elle a colonisé la Flandre en quatre ans seulement. C'est un scénario qui s'est souvent répété en Europe et en Amérique du Nord. »

C'est au point que, le puceron se faisant rare, ces coccinelles-issues-de-la-diversité se sont avisées qu'elles avaient l'air bien appétissant, les coccinelles-de-souche – et, incontinent, elles se sont mises à les becqueter. Certaines voix se sont bien élevées pour signaler que c'est nous qui les avions fait venir, ces petites bêtes, et que par conséquent nous leur devions le couvert, fût-il un tantinet cannibalesque. Mais, finalement, l'espèce a tout de même été officiellement déclaré nuisible.

Je me demande d'ailleurs bien pourquoi je vous raconte tout ça, moi.

Didier Goux a des non-activités de crétin

Ce matin, tout-à-l'heure, maintenant en fait, j'ai passé vingt minutes à regarder le jour se lever sur Saint-Pierre-et-Miquelon (8 h 00, heure locale), par le biais de la webcam mise en lien hier. Je suis mûr pour le cabanon, je crois.

samedi 24 octobre 2009

Trop injuste !

Pourquoi le temps est-il si gris ici, alors qu'il fait grand soleil là-bas ?

Bon, à part ça, depuis avant-hier, l'idée de prochaines vacances à Saint-Pierre-et-Miquelon reprend corps. Ce serait pour l'automne prochain. Trois semaines : une au Québec, pour aller vider un godet avec Ygor Yanka et Madame, et apporter du fromage au lait cru à la douce Pétronille, perdue en son neigeux exil. Ensuite, deux semaines dans les îles.

Vous ne pouvez pas imaginer le boxon que ça représente, d'aller se perdre là-bas. Il faut changer trois fois d'avion, réciter des mantras, être capable de tenir sur un pied avec le coude sur le genou, etc. Le principal problème, c'est la monnaie. Compte tenu de mon horreur de l'avion – et accessoirement de mon gabarit –, il est hors de question que je voyage dans des charters de salauds de pauvres, de passer sept heures dans un siège qui, pour caser vos jambes, ne vous laisse pas d'autre possibilité que d'y ouvrir une articulation supplémentaire. Donc, voyage en classe trucmuche (j'ai oublié le nom), qui coûte un bras.

Bref, d'après les premiers calculs faits au doigt mouillé par l'Irremplaçable, si on additionne les trajets, hôtels et restaurants divers, on ne pourrait pas s'en tirer à moins de huit ou neuf mille euros. Et, comme elle me l'a dûment précisé : “sachant qu'on dépensera forcément plus que mes prévisions” – bien vu.

J'ai l'impression qu'on va se retrouver dans le Gard, une fois de plus...

vendredi 23 octobre 2009

Didier Goux dégaine son Bach à bouchons

Je ne sais pas si c'est le résultat d'une conspiration, ou plus simplement l'effet d'une négligence de ma personne. Il n'empêche : on ne me dit jamais rien, à moi. Par exemple, aujourd'hui, nul n'avait cru bon de m'avertir que les vacances de Toussaint des crétins boutonneux commençaient ce soir. Quand je l'ai su, j'étais déjà dans la nasse. Coup de fil de l'Irremplaçable : “ Au fait, Monsieur Futé (Bison de son prénom) vient d'appeler : il prévoit que tu seras à la bourre pour l'apéro, à cause des bouchons. ”

Je quitte donc Levallois à six heures, en serrant considérablement les miches. Dès le souterrain de la Défense, je comprends ma douleur : six à l'heure, à peu près. Immédiatement, balançant souplement mon bras droit vers la banquette arrière, j'empoigne ma veste pour en extraire mon putain d'iPod. Reste à choisir la musique.

On ne peut écouter n'importe quoi, dans les bouchons. Le jazz ? Mouais... D'abord, sur les trois files de l'autoroute A13, il y a déjà des nègres partout autour, inutile de s'en coller un de plus dans les esgourdes (smiley...). Ou alors, éventuellement, un nègre sous calmants à doses massives ; genre : les ballads de Ben Webster – le souffle, le regard lointain, le sourire en demi-teinte, le génie tranquille.

Je déconseille pareillement les musiques “d'énervés” : pas de Mahler, qui multiplie la densité de la circulation, encore moins de musique contemporaine : là, après trois morceaux de Varèse, cinq pièces de Stockhausen, vous vous prenez pour Michael Douglas, sortez de votre voiture et allez flinguer le premier épicier sud-coréen ayant eu l'imprudence de passer sa face de citron dans l'embrasure de sa porte. Encore, si vous trouvez un Sud-Coréen entre Meulan et Mantes-la-Jolie, vous pouvez flinguer à peu près tranquille : ces gens n'ont pas encore d'association de défense. En revanche, explosez la tronche à n'importe quel épicier arabe, et c'est la chaise électrique direct : les bouchons sont dangereux, principalement dans leurs conséquences juridiques.

Bref, comme à chaque fois, je choisis l'arme absolue et je dégaine mon Bach anti-bouchons. Je vous le dis : lorsque vous oscillez entre la première et la seconde durant vingt kilomètres, dans ce cauchemar absolu qu'on appelle la banlieue, il n'est de supportable que les cantates de Bach, ou la Messe en si, ou l'une des deux Passions. Si vraiment le bouchon s'éternise, n'hésitez pas à verser dans les drogues dures et plongez dans L'Offrande musicale (voire dans l'Art de la fugue, mais, là, faut éviter d'avoir à souffler dans le ballon).

Moi, j'ai de la chance : je suis fan de Jean-Seb' – hyper client, on va dire. Jean-Seb', c'est le mec, tu vois, même au fin fond de l'Essonne, on s'éclate à l'écouter. D'ailleurs, des fois, ils en passent des bouts, dans la back room où que je vais le samedi. Si tu t'es jamais fait éclater la rondelle en couinant les Variations Goldberg, alors, mon camarade, tu sais pas ce que c'est d'avoir une bite dans l'cul – crois-moi. Du coup (si je puis dire), pourquoi pas entre les Muraux et Mantes, hein ? Eh ben, je vais t'dire : ça s'est hyper bien passé, ce trajet. T'auras beau dire, mon lecteur-que-je-l'aime-tellement-que-je-le-tutoie, mais Jean-Seb', eh ben c'était un révolutionnaire. C'est not' contemporain, en fait. Tiens, s'il revenait, Jean-Seb', il f'rait du rap, tellement il est bon et en prise directe. J'peux pas mieux dire. Bordel.

Un ben biau blog, en vérité...

C'est en musardant deçà delà que j'ai découvert ce nouveau blog. Je dis “nouveau” car il ne compte pour l'instant que deux billets. Mais quels ! Le nom de la crèmerie est à soi seul un programme : Pinard, claquos et biau parler françois. Pluton, je vous le recommande tout particulièrement. À Nicolas aussi, même si le bonhomme n'a pas l'air férocement de gauche. Mais, n'est-ce pas, quand il s'agit de vin et de fromage, la nation se réconcilie et ses composantes fraternisent à tout va...

Rajout de 16 h 42 : bon, le temps que je mette ce billet sur orbite, le bougre en avait publié un nouveau, exprès pour me faire mentir ! Donc, bien lire : TROIS billets, et non deux...


Rajout de 20 h 58 : il va de soi que ce blog s'adresse également à Pétronille et à Ygor Yanka, nos pauvres exilés...

jeudi 22 octobre 2009

Accepter l'ennemi comme tel (et lui faire la guerre s'il est besoin)

« Tout comme le pacifiste découvre immédiatement l'ennemi chez celui qui n'admet pas sa conception de la paix, les idéologies de la société sans ennemi (par exemple le marxisme) maudissent la guerre, mais préconisent la révolution et exigent que les hommes s'entretuent en vue de mettre la guerre hors-la-loi. On a assez souvent signalé l'imposture que couvre cette attitude et, bien que cet argument appartienne à la polémique courante, il n'est pas inutile de l'évoquer, car il rappelle par trop le ridicule de la querelle hideuse entre Bossuet et Fénelon sur le... pur amour (que n'ont-ils commencé par s'aimer !). La chose la plus grave consiste cependant dans le ressentiment qu'engendre inévitablement la bonne conscience des partisans de ces idéologies : étant donné que leur fin est bonne et hautement humaine, les ennemis ne peuvent être que des criminels ou même l'incarnation du mal (...). C'est ainsi qu'on justifie au nom de l'humanité l'extermination inhumaine des ennemis, car tout est permis pour débarrasser le monde de ces hors-la-loi et hors-l'humanité qui, de ce fait, sont des coupables. Dans ces conditions la notion de paix perd toute signification, étant entendu que politiquement elle consiste en un contrat ou traité, ou plutôt la paix devient impossible. Comment pourrait-il en être autrement, puisque toute action de l'ennemi, fût-elle désintéressée et noble, devient automatiquement perverse, immorale et criminelle, tandis que toute action du révolutionnaire, même scélérate et atroce, devient sainte, juste et irréprochable ? Nier l'ennemi, c'est nier la paix.

« Il ne faudrait cependant pas jeter la pierre au seul marxisme par exemple, car, par certains côtés, il est un enfant du libéralisme dont l'un des principes essentiels est justement la négation de l'ennemi politique pour ne laisser subsister que les concurrents économiques. »

Julien Freund, L'Essence du politique, p. 493.

J'avance à petits pas modestes dans cette œuvre majeure. J'avance avec découragement, si je puis dire : je sais bien que, des lambeaux d'entendement que je parviens à arracher à ces 800 pages serrées, il ne me restera au bout du compte que... je ne sais même pas ce qui me restera. Peut-être rien, ou une caricature imbécile, trois miettes de savoir, avalées de travers, et dont je m'autoriserai pour faire le malin, le docte.

Il n'empêche que cette dialectique ami/ennemi, en tant que présupposé constitutif du politique, développé par Freund, qui lui-même l'a hérité de Carl Schmitt, me semble extraordinairement fécond. Je me souviens d'un échange – sur ce blog ou un autre, j'ai oublié – avec un dénommé Farid, à propos (évidemment) de l'islam, de la France, etc. J'avais été frappé de l'accent “conquérant” de ce Farid, qui contrastait agréablement (à mes yeux) avec les bêlements post-humanistes des habituelles brebis roses : l'impression de parler “d'homme à homme”, si l'on veut (ce qui peut, je le précise, se faire avec une femme, voire entre deux femmes). J'en étais arrivé à lui dire qu'il était mon ennemi, que je le reconnaissais comme mon ennemi, et que je le traiterais toujours comme tel.

Là-dessus avait déboulé Nicolas (oui, donc, ça devait être sur mon blog, maintenant que j'y pense) qui, une fois de plus, s'était scandalisé (le terme est un peu trop fort, sans doute...) de ce que je pouvais rentrer dans le lard d'une personne qui était son ami – traduisez : avec qui il lui était arrivé de discuter de tout et de rien, en levant le coude régulièrement ; ce qui est bel et bien la définition de l'amitié, en effet.

Je crois que, par fatigue, je ne lui avais pas répondu. Sinon, je lui aurais dit ce que je pense profondément : que je serais tout autant que lui capable de boire des bières, de passer une soirée – un week-end, pourquoi pas ? – avec son ami Farid, et de m'entendre avec lui. Mais qu'il n'en resterait pas moins mon ennemi.

Car, contrairement à ce que croient les ludions à roulettes du troisième millénaire naissant, on peut estimer son ennemi – même on le doit –, il est naturel de partager avec lui un certain nombre de choses essentielles : cela revient à se reconnaître mutuellement comme humains, à s'apprécier comme tels, à chercher non à se détruire mais à se vaincre.

Ce qui est l'exact contraire de ces morpions souriants qui crispent leurs petits poings en brandissant du “phobe” à pleins faisceaux, dans le seul but de masquer leur incapacité virile, la flaccidité de leur masse cervicale cérébrale (merci, M. Malavita...).

mercredi 21 octobre 2009

Didier Goux s'offre un grand mouvement de révolte

Je voulais pas être journaliste...
c'est mes parents qui m'ont forcé !

mardi 20 octobre 2009

Grand méchoui à la mi-temps

Cette photo prise par l'Irremplaçable il y a deux ou trois jours me plaît beaucoup. « Envoie-la-moi par mail, lui ai-je demandé en jargon post-moderne, je m'en servirai pour illustrer un billet... »

Donc, voilà : j'ai l'illustration. Mais le billet ? Rien, le vide sidéral. Je me sens démuni comme un blogueur socialiste un jour où Nicolas Sarkozy n'a fait aucune connerie, même imaginaire. C'est d'autant plus grave qu'ayant placé cette photo à droite, au lieu de la centrer comme la prudence me le conseillait, je me sens tenu de remplir de mots cet immense espace blanc (gris, pour vous), à gauche. Pour le titre, j'ai cherché à faire de l'humour à deux balles, avec les moutons. Du genre : “Les écologistes français réunis en congrès.” Ou bien : “Les joueurs du Paris Foot gay attendent leurs valeureux adversaires sur la pelouse – grand méchoui à la mi-temps.” Mais c'était vraiment trop nul. D'autant que je n'ai même plus envie de me moquer des ravis de la tribune qui, il y a deux jours, se sont bruyamment réjouis de ce que le fameux match allait finalement avoir lieu. “Pas d'homophobie ! Pas d'homophobie ! Vilains réacs qui voient le mal partout !”, se sont-ils mis à piailler, en courant dans tous les sens et en donnant des accolades émues à tous les barbus qui passaient à portée de leurs petits bras. Manque de bol : dès le lendemain matin, on apprenait que le Créteil Machin avait finalement préféré se saborder en haute mer, plutôt que de jouer avec des types chaussés de crampons rose fluo. Pas de tarlouzes sur ma pelouse ! plutôt le suicide collectif, mes frères ! Grand silence dans la basse-cour, forcément.

Du coup, je me demande si je ne suis pas en train de gaspiller sottement une très jolie illustration. Si ça se trouve, demain, je vais trouver une idée de billet qui collera pile-poil avec, mais ce sera trop tard.

lundi 19 octobre 2009

Attention à la marche (de Radetzky) !

C'est une question qui a surgi hier, non seulement entre l'Irremplaçable et moi, mais également entre le premier et le deuxième pastis (dosés comme pour un homme...) : si on trouvait sur e-bay la baguette magique idoine, en quelle période aimerions-nous vivre ? Et dans quel pays ? Et dans quelle catégorie sociale ? Je me suis même dit que ce pourrait faire une “chaîne” amusante, mais je ne citerai personne à comparaître : que ceux que le jeu amuse saisissent le cornet à dés sans plus de cérémonie.

J'ai, pour ce qui me regarde, d'abord pensé au XVIIIe siècle français. Naître dans une famille de bonne noblesse – mais sans excès de prestige tout de même : comte d'Évreux m'aurait été très bien, en plus c'est à trois ou quatre heures de carrosse de Versailles. Venir au monde vers 1690, de manière à bien profiter de l'appel d'air frais et libertin créé par la mort du vieux Louis et l'arrivée au pouvoir du délicieux Régent. Ensuite, une vie de plaisir et de littérature, de découverte des idées nouvelles (qu'en bon réactionnaire j'aurais repoussées avec des étouffements d'indignation), de femmes de chambre saillies dans les escaliers dérobés de Versailles et de marquises lutinées sous les frondaisons du parc, le déduit étant soutenu par les harmonies, au loin, de M. Rameau. Tout cela avant de s'éteindre paisiblement vers 1775, avant que les choses ne sombrent dans le cauchemar pouilleux des sans-culottes. Oui, pas mal, le XVIIIe français...

Mais, en y réfléchissant, je me suis demandé si je ne préférerais pas encore avoir vécu dans la grande bourgeoisie lettrée de l'empire austro-hongrois du XIXe siècle. Naître vers 1830 dans une famille aisée des confins de l'empire, en Galicie, en Transylvanie ou encore en Bucovine. Débarquer à Vienne vers 1848, pour de nonchalantes études assorties de la tournée des bals, avant d'entrer dans l'armée impériale, afin que mon somptueux uniforme d'officier de la garde personnelle de François-Joseph ne vienne suppléer auprès des dames à ma jeunesse enfuie. Plus tard encore, meubler une vieillesse douce et studieuse en lisant les auteurs des années 1880 - 1900, écoutant Mahler mais regrettant Wagner. Et puis, mourir imbibé de schnaps en 1912 ou 13, sans même me douter que le rêve est au bord de s'évanouir.

Plus j'y pense et mieux je me vois, droit sur mon cheval, bottes rutilantes aux pieds, regardant avec une mâle émotion passer les moustaches du vieil empereur, aux accents de la Marche de Radetzky s'échappant du Musikverein.

La meute des gâteux

Je reconnais que le titre pourrait prêter à confusion, mais, non, il ne s'agit pas d'un billet sur mes amis de gauche, absolument pas. Je veux juste vous signaler que les photos de chiens-chiens-à-sa-mémère prises par l'Irremplaçable seront désormais regroupées dans un chenil spécial, que l'on pourra retrouver en passant par ma blogroll...

dimanche 18 octobre 2009

Emmène-moi au bout du monde

L'idéal serait sans doute de partir pour nulle part, embarquer les chiens, monter sur un bateau ventru – fuir l'avion, fuir ! – pour s'évanouir dans un ailleurs imprécis et à peine noté sur les cartes. Oublier l'ensemble du monde tel qu'il fut, est et sera ; lui tourner le dos, mais sans même un mouvement d'humeur, comme on dévie légèrement son pas devant une merde fraîche – avec une indifférence teintée de soulagement et même de joie. On débarquerait au couchant sans doute, et la première nuit on attendrait sans impatience la survenue des brumes matinales, qui ne manqueraient pas au rendez-vous.
La maison serait petite et ancienne, inoccupée de mémoire d'homme (mais très bien chauffée : elle connaîtrait nos âges et les froids dont nous arrivons tout juste), et tous ses anciens habitants seraient morts depuis longtemps, leurs tombes même deviendraient difficiles à identifier. Les fenêtres en seraient étroites, mais commanderaient un paysage résolument immobile sous les assauts des vents. Ceux-ci viendraient de la mer, faute d'un autre choix. Il n'y aurait plus ni surprise, ni déconvenue, ni grandes sautes d'allégresse. Non plus de rencontres fortuites – peut-être même, avec un peu d'entraînement et de sagesse, plus de rencontre du tout.

Les chiens eux-mêmes se lieraient familièrement aux brouillards, et, petit à petit, ils perdraient l'habitude de marcher jusqu'à la mer.

samedi 17 octobre 2009

Noémie, la solitaire de l'Ile-Languette

« Un matin que Cachemire avait à nouveau plongé, Amanda, s'approchant du quai, découvrit Gabie cachée derrière une grosse bouée. Elle scrutait le ponton. Le patron de Zéphyr sortait de l'eau. Gabie s'engouffra dans la ruelle.
“ Vous avez fait plus ample connaissance ? dit Cachemire.
– Elle vous observe, nota Amanda.
– Les plongées du scaphandrier, récita Cachemire avec l'accent d'un prédicateur prononçant une oraison funèbre, les plongées du scaphandrier furent les seules distraction de sa triste vie !
– À moins, réfléchit Amanda, qu'elle n'imagine que c'est lui, Clément, et non vous, Romuald, qui remonte des profondeurs. Elle a paru déçue quand Zéphyr a ôté votre casque. ”
Cachemire sourit. Il revit Amanda assise, quelques semaines plus tôt, dans le salon de l'Isle Royale. Il avait eu la main heureuse. Sa Première Touriste était tout bonnement exceptionnelle. »

La Gabie dont parle Eugène Nicole dans cet extrait des Larmes de pierre, second volet de sa tétralogie miquelonnaise (ou saint-pierraise, comme vous voudrez), L'Œuvre des mers, est un personnage muet et tragique, qui traverse l'ensemble des récits tel un fantôme. En réalité, c'est elle qui poursuit un fantôme : depuis des années, elle cherche Clément, son fils unique, qui s'est embarqué en cachette d'elle à l'adolescence, et qui a disparu en mer. Dès qu'un navire est annoncé, Gabie est debout sur le port, à guetter l'apparition de Clément. Ne le voyant pas, elle s'en retourne chez elle en songeant : “On lui aura confié une mission secrète juste avant d'embarquer...”. À aucun moment, elle n'est ébranlée par l'évidence de la réalité, elle continue, sans impatience, à chercher son mort. Et peut-être en effet qu'un mort que l'on s'obstine à chercher est, au moins pour un temps, empêché de basculer dans le Royaume infernal.

Dans ce livre – dans ces livres –, foisonnant de personnages qui ne cessent de se croiser sur les rares routes des îles, et même sur celles du temps, il y a aussi la vieille Noémie, le pendant solaire de Gabie, d'une certaine manière. Noémie est la dernière habitante de l'Ile-Languette (l'Ile-Languette, au bas de la photo, est la plus grosse des trois petites îles, juste en face de la rade de Saint-Pierre). Et si Gabie épuise sa raison à chercher son mort, Noémie, elle, est très assurée des siens, dont elle s'est constituée la servante du culte :

« Les clefs de Noémie ouvraient toutes les maisons de l'Ile-Languette abandonnées par leurs propriétaires repliés en ville. Elle en faisait le tour chaque mercredi. Les deux femmes [L'autre est Amanda, la “Première Touriste” rencontrée dans l'extrait précédent] se levèrent tôt. Noémie prit le trousseau. Elle ouvrait la marche avec une brouette chargée d'un monceau de fleurs. Elles visitèrent une vingtaine d'habitations. Dans chacune (Amanda nota que les calendriers, de l'année en cours, étaient semblables à celui de Manon), elles mettaient des fleurs fraîches sur la table de la cuisine.. Noémie donnait un coup de balai, ouvrait ou fermait une lucarne selon son exposition, bordait un lit, dépoussiérait un bibelot, un jouet posé près d'un berceau d'enfant. Dans l'une des maisons, elle décrocha d'un mur un vieux violon (néanmoins accordé), ajusta le crin de l'archet, plaqua quelques accords enjoués. « Nous dansions ici, dit-elle. Nous allions en soirée, quand la campagne de pêche était finie. Nous appelions ça “sauter”. Nous disions aussi “casser un gâteau”. » À deux ou trois reprises, elle prononça quelques noms. On aurait dit qu'elle appelait des personnages invisibles, qu'elle tendait l'oreille vers l'étage, comme si quelqu'un allait descendre. Les marches de l'escalier craquaient. Ce n'était que le vent. Elles parvinrent enfin devant une petite bicoque où il n'y avait qu'une table et un vieux miroir piqué, décoré de buis. C'est là que le 31 juillet 1888 on avait trouvé, coupé en morceaux, le corps du cabaretier Coupard. [Fait divers qui sert de point de départ au film de Patrice Leconte, La Veuve de Saint-Pierre.] Amanda revit la guillotine sous les combles, de l'autre côté de l'eau. Joseph Néel, l'assassin, ne reposait pas dans le cimetière de l'Ile-Languette. Elle frissonna. Noémie redressa légèrement le miroir. Chaque semaine, il fallait le remettre d'aplomb.
Comme s'il revenait... »

Il y aurait bien d'autres choses à dire, sur cette Œuvre des mers, livre puissamment sorcier, des personnages à faire surgir du brouillard de juin, des passages à citer, des noms de lieux et de gens à écrire rien que pour le plaisir de les prononcer mentalement et de se soumettre à leurs charmes. Une autre fois, sans doute. Toujours une autre fois...

Eugène Nicole : L'Œuvre des mers, éditions de l'Olivier, 24,50 € (et on dira que je ne vous mâche pas le travail, après ça !).

Des nouvelles de Monsieur Biche

Il ressemble à ça, le bougre ! Je lui trouve personnellement un petit air mal aimable qui me ravit...

vendredi 16 octobre 2009

Les red necks d'Europe

Prix Nobel, donc. Jean Daniel, le patron du Nouvel Observateur (cet hebdomadaire dans lequel on vante les livres de Jean Daniel : on voit tout de suite ce que vont devenir les petits journalistes qui acceptent de se livrer à ce genre de grotesque manipulation : tant pis pour eux) – Jean Daniel, disais-je, trouve merveilleux que Barack Obama obtienne le prix Nobel de la Paix. En principe, Jean Daniel devrait savoir ce que représente le prix Nobel de la Paix : zéro. Nada. Nichts. Nothing. Exactement comme le prix Nobel de Littérature. Ou même d'économie. Ce sont des prix inventés pour que les Africains en aient parfois quelques-uns. (Là, je vais vraiment passer sous les fourches caudines...)

Personnellement, si j'étais M. Obama, je me sentirais humilié par ce prix. J'aurais l'impression qu'on me l'a attribué juste parce que je suis noir. Et j'aurais horreur de ça, qu'on m'attribue un prix (même sans signification) uniquement pour me féliciter de ma couleur de peau.

Mais nos petits post-modernes, eux, trouvent ça super. Vraiment super. Ils ne voient pas ce qu'ils sont en train de fabriquer : un monde où l'ethnique prime sur tout le reste. C'est-à-dire un monde de violence déchaînée. Ils ne voient pas davantage, tous ces petits Jean Daniel, qu'ils mettent en avant des choses dont on pensait être débarrassé : la couleur de peau, l'origine raciale, et toutes ces sortes de choses.

Jean Daniel est un vieux con – il n'est malheureusement pas le seul. Toute une troupe se presse derrière ce sépulcre blanchi, qui pense en effet qu'il est important d'accorder un prix Nobel à ce président des États-Unis qui n'a rigoureusement rien fait (mais qui excite les filles de gauche de chez nous), pour la simple raison que le temps ne lui a pas encore été accordé.

Au fond, nos petits cerveaux déliés européens voient Barack Obama de la même manière que les red neks du middle west : en fonction de sa couleur de peau. Ici, on crie victoire, là-bas on se désespère de l'Amérique : deux faces d'une même connerie. Connerie absolue et définitive, je le crains.

Faut-il supprimer le droit de grève aux fonctionnaires (et plus si affinités) ?

Les fonctionnaires sont-ils des “travailleurs” comme les autres ? À l'évidence, non. Doivent-ils avoir les mêmes droits, n'ayant pas les mêmes contraintes ? (J'ai dit “pas les mêmes”, je n'ai pas dit “moins”, on le notera...). Comme élément de réflexion, le texte ci-après.

(Parmi une multitude d'autres, j'ai choisi cette photo non seulement en fonction de son puissant ressort comique, mais aussi parce que la banderole illustre très bien, résume même, le malentendu concernant les fonctionnaires, qui ne sont naturellement pas au service du peuple mais bien à celui de l'État.)


« Comme l'indiquent les diverses expressions qui servent à la désigner, Fonction publique ou Civil Service, l'administration appartient à la sphère du public, mais les fonctionnaires sont dans une situation très spéciale, voire discordante, suivant qu'on les considère comme serviteurs de l'État ou comme salariés revendiquant les mêmes droits que les autres salariés. Logiquement et politiquement, ils ne sont pas des travailleurs comme les autres, puisqu'ils gèrent le bien commun et que de ce fait ils doivent se plier aux impératifs de la relation publique, mais en fait, et de plus en plus de nos jours [ce texte date de 1965...], ils réclament l'assimilation aux employés et aux travailleurs du secteur non public. Il en résulte toutes sortes de chocs et de conflits qui ne peuvent que s'aggraver avec l'extension de la bureaucratie, le développement de certains services techniques nouveaux et éventuellement de nouvelles étatisations. Chose plus curieuse, la croissance en effectifs et en étendue des services publics s'accompagne d'une privatisation croissante des rapports entre les fonctionnaires et l'État. Il est hors de doute que la constitution de syndicats de fonctionnaires, possédant un pouvoir de décision autonome, renforce les possibilités d'intervention de l'autorité privée dans le secteur public, au même titre que les autres groupes de pression. Si l'on avait adopté divers points du programme de l'anarcho-syndicalisme, que continue à agiter encore de nos jours l'un ou l'autre leader syndicaliste, on en serait venu à livrer l'État, qui est le bien de tous les citoyens, à des organismes politiquement irresponsables, parce que de nature privée. En tout cas le fait demeure qu'une grève générale et totale des services publics réduirait le gouvernement à l'impuissance et suspendrait effectivement l'existence de l'État. Somme toute, l'intrusion du privé dans le public n'a jamais eu tant de chances qu'à notre époque caractérisée d'autre part par une extension indéfinie de la sphère publique. De ce paradoxe de la société moderne, il est impossible d'évaluer les conséquences, parce que nous n'en avons même pas encore pris la mesure. »

Julien Freund, L'Essence du politique, p. 324.


Encore Freund écrivait-il cela à une époque où les facteurs et les gardes-champêtres portaient encore un uniforme distinctif ; où, lorsqu'on se rendait au bureau des PTT (cette Poste désormais à l'agonie que d'aucuns prétendent “sauver”, alors qu'elle s'est suicidée de volonté pleine), on avait affaire à une “demoiselle de la poste”, c'est-à-dire à une institution, et non, comme aujourd'hui, à de quelconques Josiane ou Nadine dont le prénom semble désormais être la seule raison sociale, le seul lien contractuel avec le public, au service duquel elles sont pourtant censées être toujours.

J'ajoute que les cinq ou six pages qui suivent l'extrait que je viens de transcrire mériteraient de l'être également. Mais bon...

Didier Goux découvre un blog (de fille, en plus !)

Elle s'appelle ElleN. Comme dans Hélène et les garçons, mais pas écrit pareil et sans garçon (dans le blog, en tout cas) Son estaminet est à l'enseigne des Chroniques du dedans, bien qu'elle ne parle que très rarement de ses ovaires, la dame, d'après ce que j'ai pu voir. Elle dit qu'elle vit dans le Sud-Ouest, mais si ça se trouve c'est même pas vrai : les jeunes femmes réacs sont très souvent assez fourbes et dissimulatrices. Du reste, elles le font exprès : c'est pour nous rappeler les heures-sombres-de-notre-histoire, où grouillent les ventres-encore-féconds et les bêtimmondes.

Enfin, bref, je trouve qu'elle mérite votre visite. Mais vous faites comme vous voulez.

jeudi 15 octobre 2009

Autoportrait du taulier en monstre

C'est moi. C'est mon portrait. Très ressemblant. Multiphobe. Je suis ignoble, c'est lui qui le dit. Je dois donc l'être, forcément. M. Oh ! 91, homosexuel revendiqué, est persuadé que je suis “homophobe” : ça l'aide à vivre, ce moyennement jeune crétin. Il va de soi que cette accusation ne peut que faire rire à gorge déployée les gens qui me connaissent un peu, mais peu importe.

Il a décidé cela : je suis ----phobe multi-cartes. Lui, non, ce gentil imbécile. Il n'est “phobe” de rien, vous pensez. Les femmes les plus stupides l'adorent. Elles trouvent très “fort” que, sur son blog, on tombe constamment sur des hommes occupés à s'enculer, à se sucer la queue, etc. Imaginez donc ce que ces jeunes femmes penseraient si, sous prétexte d'être hétérosexuel, j'illustrais chaque billet de cramouilles fort ouvertes, de chattes dégoulinantes, and so on. Je serais un immonde phallocrate, potentiellement violeur, etc. Oh ! Machin, lui, faisant la même chose, est une sorte de libellule post-moderne : les filles rient, le trouvent tellement libéré.

Il n'est évidemment libéré de rien. Il ressemble à ces camionneurs qui affichent des posters de grosses blondes à poils dans leur cabine. Mais, bien sûr, la différence est que les routiers sont de GROS CONS de droite, alors que notre libellule est délicatement de gauche. Et c'est bien parce qu'il est délicatement de gauche qu'il sanglote sur Fidel Castro, ce démocrate que rien ne fatigue, oubliant quel est le sort des homosexuels cubains. Pour la même raison qu'il crache son petit venin clairet sur Renaud Camus qui, depuis une bonne trentaine d'années, écrit pour que des connards dans son genre puissent vivre leur sexualité à peu près correctement.

Néanmoins, c'est moi qui suis homophobe, bien entendu. M. Oh ! 91, lui, aime beaucoup Cuba. Du coup, il déteste forcément Renaud Camus, puisque ce Camus-là – mais je peux me tromper – n'a pas grande sympathie pour les régimes qui ont fait plusieurs dizaines de millions de morts, et maintiennent en prison des gens dont le seul tort est finalement de coucher avec qui ils ont envie.

La preuve est faite, finalement : qu'on soit homo ou hétérosexuels, il semble préférable de lire Renaud Camus que de connaître des Oh ! Machin.

Rétif, le bestiau !

Voilà, c'est fait : la bête est installée sur mon bureau depuis hier soir. Mon grand iSorcier, Vincent, a TOUT récupéré dans le vieux disque dur, y compris mes modèles de documents Word qui s'étaient vicieusement planqués derrière des malles de fringues que plus personne ne met depuis trois ou quatre générations. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes... si nous parvenions à faire prendre langue à ce bourrin avec la livebox de Mme Orange. Pour le moment, et malgré les efforts de l'Irremplaçable, ces deux abrutis refusent de s'adresser la parole. On envisage de sévères mesures de rétorsion. Voire une consultation téléphonique avec l'un de vous, s'il se trouve des petits génies de l'informatique dans l'aimable assistance. N'hésitez pas à vous faire connaître...

mercredi 14 octobre 2009

Cherea chérit Jeannot

L'excellent Cherea se félicite hautement de la promotion de Jean Sarkozy. Il me semble que ses arguments sont loin d'être sots. Ils ont en tout cas le mérite de faire un peu retomber ce ridicule soufflé, à l'heure où les habituels agités du bocal se remettent à pétitionner en rond.

mardi 13 octobre 2009

Peut-on être engagé à gauche sans être complètement con ?

À Olivier Bonnet...


Bon, c'est vrai qu'il a une tête de con, une coiffure à jouer dans un sitcom, un sourire faux, un regard torve. Et qu'il est probablement (mais rien n'est jamais certain) ce qu'annonce son image. Néanmoins...

Néanmoins, mes bons amis pourfendeurs, vous me faites rire, depuis deux ou trois jours, avec vos indignations à l'hélium, vos gonflements de pétomanes institutionnels. On crie au scandale, au népotisme. (J'aimerais savoir combien d'entre vous connaissent (sans chercher sur Yahoo) le sens exact de ce mot – passons.) On hurle, on s'égosille, parce que ce petit Sarkozy n'a que 23 ans ! Et qu'il est seulement en deuxième année de droit !

Et alors ? Depuis quand les études de droit conduisent-elles à la carrière politique ? Les études de droit conduisent au droit, period. Vos grands-parents,mes drôles, ânonnaient à la suite de Lénine (oui, vos grands-parents ont adoré les dictateurs du siècle récemment mort) qu'une cuisinière devait pouvoir diriger l'État. Et pas un étudiant en droit ? Et je me permets de vous rappeler que vous hurlez depuis des décennies contre l'oligarchie des énarques, la confiscation du pouvoir par une élite des grandes écoles...

Vous-mêmes, avec le racisme inconscient (un bon racisme efficace se doit d'être inconscient) de votre génération, ne perdez jamais une occasion de traîner dans la merde toute personne de plus de soixante ans qui prétend rester encore un peu vivante (voir vos moqueries ignobles concernant VGE par exemple) : vous devriez donc, si vous aviez un brin de logique (mais je rêve) trouver fort bien qu'un jeune homme de 23 ans grimpe les marches quatre à quatre, et envoie à la maison de retraite un vieux ridicule de 65 ans comme Balkany Devedjian. Non ? 65 ans c'est trop vieux mais 23 c'est trop jeune ? Ah, il faudra m'expliquer cela, à l'occasion !

Non, non, ne hurlez pas tout de suite : j'ai bien compris ce qui vous choque, dans l'ascension du blondinet grotesque. Et croyez bien que je trouve cela aussi choquant... Non, à la réflexion, ça ne me choque pas : ça me fait rire, juste rire. Parce que, en effet, la situation est risible. Nicolas Sarkozy est risible ; son fils est risible ; la manière dont papa promeut fiston est risible. Du reste, Lionel Jospin aussi était hautement risible – notamment sa tête de constipé, un certain 21 avril. Mais c'est votre époque, mes drôles ; celle que vous chérissez, qui vous semble meilleure que toute autre dans le passé – une époque de transparence absolue, où chacun est avant tout soi-même, décomplexé, transparent. Et vous n'avez jamais de mots assez moqueurs pour ceux qui vous disent que, peut-être, il conviendrait d'être un peu moins, un peu moins brutalement soi-même.

Au fond, mes petits frères, Nicolas Sarkozy est vraiment votre président. Celui que vous avez souhaité, celui que vous méritez, celui que vous avez véritablement élu – même si vous avez voté contre lui.

Encore une petite minute, Monsieur le bourreau !

Marie-Antoinette, je vous demande un peu... Mais qui pourrait bien avoir assez de courage, de force, d'abnégation, de sens du devoir, d'appétence au gain, pour écrire 7 ou 8 000 signes sur Marie-Antoinette, un mardi après-midi, passé quatre heures ? Surtout si le quidam en question, s'est déjà appuyé, la veille :
– 7651 signes sur la vie sexuelle de John Fitzgerald Kennedy, le matin ;
– 7667 signes sur celle non moins agitée du pape Alexandre VI (Rodrigo Borgia pour les intimes), l'après-midi.

Après ça, il faudrait encore que j'examine si la dernière reine de France a oui ou non tâté du bâton-qui-rend-folle avec le beau Fersen, ou brouté la case trésor de la Polignac ? Tout ça pour que Dorham me fasse remarquer perfidement que je ne fais plus que des billets de cul ? Merci bien ! On n'est pas des machines, par le sang du Christ-Roi ! D'autant que je dois encore passer au laboratoire chercher les résultats d'analyses que cette congénitale feignasse d'Irremplaçable refuse d'aller retirer elle-même...

D'un autre côté, il faut bien faire tourner l'épicerie, écouler les stocks, faire rentrer la mornifle, marner à flux tendus. Les deux productions d'hier, c'était pour payer l'appareil photographique de qui-vous-savez – bon. Aujourd'hui, il s'agirait donc d'engranger les premiers billets qui serviront à négocier la levée d'écrou de Monsieur Biche, lorsqu'on ira le délivrer de son chenil natal, le 7 novembre prochain. Et lorsque j'aurai finalement guillotiné l'Autrichienne, il me faudra encore ausculter les amours élyséennes illicites de nos différents présidents (grâce au livrounet de VGE, je me retrouve en pleine actu, moi...).

Finalement, je pense que Rossinante va refuser l'obstacle et filer directement au labo. D'autant que, sur le chemin du retour, je suis contraint de passer devant l'échoppe de l'épicier-issu-de-la-diversité. Laquelle est toujours ouverte, et recèle dans tel coin sombre de ses rayonnages quelques tentants flacons de pastaga.

Parti comme c'est, je sens qu'on guillotinera plutôt demain, pendant l'heure du déjeuner.

Didier Goux a de jolies charentaises toutes neuves

La preuves. (J'ai laissé une faute pour que Gaël puisse s'entraîner...)

Question subsidiaire : qui suis-je occupé à lire ?

lundi 12 octobre 2009

Les Pinard nouveaux sont arrivés !

Dans Maîtres et complices, paru en 1994, Gabriel Matzneff parle de ses écrivains de chevet ; ce sont ses Exercices d'admiration à lui – du reste Cioran en fait partie, c'est même lui qui clôt le volume. Dans le chapitre qu'il consacre à Baudelaire, Matzneff écrit ceci :

« Si Baudelaire a été inculpé, jugé et condamné, c'est en effet à la suite d'une campagne de presse haineuse, calomniatrice, qui voulait le faire passer aux yeux du public pour un pervers et un débauché, donner de lui une image odieuse. À Paris comme à Bruxelles, des journalistes se sont conduits envers lui comme d'abjects sycophantes, principalement un certain Bourdin dans le Figaro et, huit jours plus tard, toujours au Figaro, un nomme Habans. (...)

« Il y avait aussi une Belge surexcitée qui, au nom de l'ordre moral, s'indignait de ce que cet ogre, ce mangeur de petits enfants, ne fût ni censuré ni jeté en prison :

“Dans un poème particulièrement insoutenable, Delphine et Hippolyte, on voit une femme débaucher, pervertir, une innocente collégienne de treize ou quatorze ans. De telles pages ne relèvent pas de la critique littéraire mais de la brigade des mœurs. Que fait la Justice ? L'impunité dont, sous prétexte de littérature, semble jouir M. Charles Baudelaire scandalise tous les Français honnêtes.” »

Que fait la Justice ? Ce cri, cette plainte pleurnicheuse, on n'entend désormais plus que cela, en particulier dans la blogosphère qui menace de se transformer en le greffe des tribunaux à venir, toujours plus nombreux, drainant un public toujours plus enthousiaste, puisque, selon la prédiction de Bernanos, notre soif de justice a déjà commencé de ravager le monde. Quant à la “Belge surexcitée”, on voit très bien se dessiner sa silhouette. On arrive même sans peine, à travers ses propos, à lui restituer les différents pseudonymes qui sont désormais les siens dans notre virtuelle Inquisition.

Je sais bien ce qu'on va me dire : Mais Polanski n'est pas Flaubert ! Et encore moins Frédéric Mitterrand Baudelaire ! Sans doute. Mais je ferai observer qu'en 1857 Baudelaire lui-même n'était Baudelaire que pour une à peine poignée de gens. Pour les autres, les innombrables autres, il n'était qu'une sorte de monstre crachant à la face du Bien communément admis comme tel.

Encore une fois, je ne prends pas la défense du cinéaste ni du ministre, pour la bonne raison que je m'en fous. Je me borne à constater, en rapprochant les envolées, en comparant les indignations, que les âmes des bigots du XIXe peuvent reposer en paix et satisfaction : leurs rejetons semblent être à la hauteur de l'héritage reçu.

samedi 10 octobre 2009

Nikon, ni soumise

Bon, c'est entendu, l'affaire m'a coûté un bras (le droit : celui qui ne me sert à rien, heureusement), mais ça valait la peine. Car pendant que l'Irremplaçable court les voies et les chemins avec son chien idiot, en essayant de maîtriser son nouvel appareil photographique, je peux profiter de son ridicule mignon petit ordinateur pour aller karchériser vos blogs, l'écume aux lèvres et la méchanceté à fleur de clavier – de l'argent très bien investi, en somme.

vendredi 9 octobre 2009

Elle était brune et pourtant blanche... (Didier Goux lance une chaîne)

Hier, dans ma voiture, je me suis surpris à fredonner une chanson de Brassens : La Première Fille. Et j'y ai pensé. À elle, la première. Il m'a semblé que les femmes l'avaient aussi, ce premier. Alors l'idée m'est venue de cette chaîne : racontez comment vous avez rencontré "votre premier", celui ou celle qui vous a dépucelé. Pourquoi lui ? Ou elle ? Pourquoi pas celui ou celle du flirt d'avant ? Réfléchissez-y. Et dans quelles circonstances vous êtes-vous rencontrés ? Je commence, donc.

C'était à l'été 1976. Derniers jours de juillet. J'avais une blouse bleue, j'avais vingt ans tout juste (je sais : peu précoce...). Je passais mon été à la SNCF, et, pour être plus précis, au portillon de la gare des Aubrais (Orléans), travaillant selon cete règle que l'on appelait les "3 x 8". Il se trouve que, ce soir-là, j'étais de nuit : 20 h – 4 h.

Aux alentours de minuit, j'étais dans mon petit portillon (mon travail consistait à poinçonner les billets des voyageurs, à leur indiquer sur quel quai leur train allait les recevoir, et aussi à leur indiquer, le cas échéant, comment allait se dérouler leur changement, ici ou là. Pour cela on se servair de cet énorme et très compliqué livre qu'on appelait le "Chaix", que j'avais mis un point d'honneur à maîtriser, tandis que mes petits camarades étudiants anarcho-trotskystes, sous prétexte que, deux mois plus tard, ils rejoindraient la bourgeoisie triomphante, mettaient un point de déshonneur à n'en rien savoir, n'en rien comprendre) – j'étais donc dans mon petit portillon. La gare des Aubrais (celle de l'époque) se vidait, les deux ou trois trains de nuit encore en attente draînaient de moins en moins de voyageurs. On allait pouvoir se mettre à somnoler...

Et elle arrive. Une petite brune, cheveux longs, épais et brillants, lunettes de myope, sac à dos semblant faire à peu près le même poids qu'elle-même. Elle vient droit sur moi, dans ma petite guérite, me demande sur quel quai sera reçu le train qui va la mener dans son extrême Sud-Ouest natal. Elle n'est pas très belle (enfin, c'est la première image que j'en ai eu – aujourd'hui, forcément, plus de trente ans après, elle l'est). Souriante. (Je la revoie arriver vers mon portillon, au moment où j'écris ceci, c'est étonnant...) Je lui indique le quai où son train va s' arrêter. Presque plus personne, dans cette gare. Et, moi, ce moi de vingt ans, persuadé depuis déjà quelques années de son insignifiance et de sa laideur, je sors de mon portillon et empoigne son sac, pour l'accompagner jusqu'au quai (qui, à la gare des Aubrais, est au-dessus de la gare, il y a des escaliers à monter).

Le train n'est pas encore là. Nous parlons ? Oui. On se dit quoi ? Je ne sais plus. Le train s'annonce, dans le haut-parleur du quai, on va se séparer, forcément. Bien entendu, je ne saurai jmais ce qui m'a poussé à dire à cette fille (Nadine : elle s'appelle NADINE) que j'aimerais bien qu'elle m'envoie une carte postale de son Sud-Ouest à la con (elle y est née, elle y va s'occuper d'une colonie de vacances – elle a 19 ans). Je lui note mon adresse (le train freine) sur... sur je ne sais plus quoi : son horaire SNCF peut-être... Nadine monte dans le train, et disparait de ma vie.

Une semaine après, je reçois une carte postale, venant de Bruges ou de Gand (car, il existe un Bruges et un Gand, quelque part dans l'extrême sud-ouest de la France, figurez-vous !) Un mois plus tard, Nadine me racontera que sa mère avait été très surprise de voir sa fille fouiller fébrilement dans la poubelle de la cuisine, afin de retrouver ce torchon chiffonné sur lequel était inscrit son dépucelage futur, et le mien.

Car ce fut une double découverte, deux mois plus tard. J'étas peu en avance pour mon âge, Nadine pas davantage. Lorsque, l'été fini, elle est venue prendre possession de sa chambre d'étudiante en je ne sais plus quoi, elle m'y a admis. Une fin d'après-midi. J'étas le plus péteux des péteux, ce jour, vous pouvez me croire. Elle aussi. Dans sa cellule de moniale, il y a avait un lit une place et une chaise : à peu près rien d'autre. Nadine était si remuée qu'elle n'a trouvé qu'une échappatoire : le sommeil. Et, en effet, je m'en souviens merveilleusement. J'étais entré chez elle depuis dix minutes lorsque, s'allongeant sur ce lit, elle m'a dit : « Ça t'ennuie, si je dors un peu ? »

Non, ça ne m'ennuyait pas. Et elle s'est endormie. Et moi, sur la chaise, je l'ai regardée dormir. Pas très longtemps, je crois. Un quart d'heure... Le double, peut-être. Je ne sais plus. Le temps ne m'a pas paru long. Quand elle s'est éveillée, je crois qu'on s'est embrassé presque tout de suite, mais vraiment je ne jurerais de rien. Ensuite...

Ensuite, on a joué au petit couple, dans les semaines suivantes. Moi, en cet automne 1976, je prenais (mal, très mal) mes marques à Paris ; elle vivait donc dans cette école de je ne sais plus quoi. On se voyait en fin de semaine. On s'explorait joyeusement – sérieusement : je me souviens, entre elle et moi, d'une découverte joyeuse dezs corps et des sexes. Nadine s'étonnait – et même riait – de mes érections spontanées, s'émerveillait (mais avec humour) d'en être la cause. De mon côté, je pense que mon attirance pour les femmes brunes à peau pâle, et mon appétence pour les chattes abondamment fournies me viennent d'elle – car elle était de ce genre.

Il nous a bien fallu deux mois (à peu près, je ne sais plus) pour “passer à l'acte”, comme on dit. Rappelez-vous que nous étions délicieusement puceaux tous les deux. Rappelez-vous aussi que j'étais à genoux devant cette fille qui, pour une raison qui m'échappait largement, me trouvait à son goût. Et rappelez-vous encore que nous allions franchir une sorte de cap que ni elle ni moi ne comprenions.

Je me souviens d'un soir où “la chose” a failli se faire, dans le studio de France-Hélène et de Monique, rue Porte-Saint-Vincent, à Orléans. Et puis, finalement, non. On est resté, ce soir-là, “au bord”, si je puis dire.

Une semaine ou deux ensuite, dans cette chambre où Nadine s'était endormie, elle a donc perdu ce fameux pucelage – de mon fait. Ça l'a fait rire. J'ai joui, pas elle : maladresse, précipitation de ma part, évidemment. Mais, nous fûmes content l'un de l'autre, je m'en souviens fort bien.

Deux semaines plus tard, ou trois, j'ai oublié, rupture. Nouds avions fait, sans doute, ce que nous devions. La rupture a eu lieu dans ce même studio de France-Hélène (qui n'en a jamais rien su). Je me souviens avoir pleuré beaucoup, resté seul. Beaucoup, mais pas très longtemps : j'avais 21 ans. – Je me souviens que Nadine s'est offert le luxe de me plaindre, avant de partir.

Je refile cette chaîne à... Voyons...

Olivier P. Mademoiselle Ciguë, Poison Social, Dorham, Zoridae, ma nièce Nef, Suzanne, Mtislav et Pierre Robes-Roule. Et tous ceux qui ont envie de se souvenir...