dimanche 31 octobre 2010

Didier Goux ouvre un nouveau blog

Il arrive régulièrement que, lisant ou entendant une phrase, une remarque, un avis péremptoire, etc., particulièrement ébouriffants, j'ai envie de les reproduire immédiatement ici, simplement parce qu'il n'y a aucune raison pour que je sois seul à rire. Parfois je le fais, mais parfois non, parce que je n'ai pas envie d'envoyer tout de suite aux oubliettes le billet publié juste avant.

C'est pourquoi je viens de créer ce nouveau blog, qui servira de remise pour ce genre de petite chose et devrait, à terme, s'il prend vie, forces et santé, constituer un assez joli florilège de la connerie modernodale (mais pas seulement). Le blog en question restera en lien dans la colonne de gauche, rubrique “Les Robinsons du Plessis”. Pour l'instant, il est tout basique et tout moche – et il n'est pas exclu qu'il le demeure. On verra.

samedi 30 octobre 2010

Modernœud se shoote à l'hélium (et le monde devient soudain plus gentil)

J'ai vu ça hier soir, en queue de journal, sur France 2, et c'était également annoncé sur Midi libre.com : parce que nos modernœuds que rien ne fatigue jugent intolérable la détention prolongée de MM. Ghesquière et Taponier en Afghanistan, ils avaient décidé d'agir, en ce vendredi, à Montpellier, et ils l'ont fait à leur manière, à la seule manière désormais qu'ils puissent concevoir. À midi et demie (pour pouvoir passer au journal de 13 h, supposé-je avec l'esprit nauséabond qui me caractérise), une poignée de Festivus graves et recueillis se sont attroupés place de la Comédie (oh ! comme les noms parlent, parfois...) pour lâcher vers le ciel 304 ballons que l'on imagine multicolores, porteurs d'un message d'espoir : libérez-les !

On pourrait commencer par faire remarquer à ces épouvantails éplorés que leur message d'espoir n'en est pas un : c'est une supplique, rien de plus ni de moins. Modernœud ne sait plus rien faire d'autre que sangloter et demander pardon, mais au moins il le fait en couleurs vives et bariolées. Du reste, comment pourrait-il s'y prendre autrement pour exprimer sa tristesse face à un monde aussi méchant, quand chaque amorce de phrase qu'il tenterait de prononcer risquerait fort de se révéler stigmatisante pour les Afghans, les musulmans, les damnés de la terre, les victimes de l'impérialisme américain, etc. ? Ne prenons pas de risque inconsidéré : lâchons nos ballons et congratulons-nous d'avoir encore des âmes si propres et si belles dans un monde gris et sale. Et joignons-y un petit message d'espoir, hein, ça ne fait jamais de mal. Et maintenant que nos ballons sont partis faire leur travail de purification de la planète, si on allait se manger une petite assiettée de tofu ?

Je m'étonne toujours un peu que ces zombis à dents blanches ne voient pas l'incroyable obscénité de leurs “actions”. Parce qu'enfin il me semble bien me souvenir, moi, qu'il n'y a pas encore si longtemps les ballons se lâchaient au moment des foires, des fêtes foraines, des carnavals, ou même simplement dans les cours d'école et les réjouissances villageoises. Ce qui revient à dire qu'hier, à Montpellier, Modernœud a fêté les dix mois de captivité des deux journalistes. Il les a fêtés.

Accessoirement, il a aussi contribué à augmenter leur valeur d'échange, rendant un peu plus compliquée et délicate la tâche de ceux qui, en ce moment même, sans rien dire, sans ballons dans les mains ni rollers aux semelles, s'emploient à les faire libérer. L'Armée des ombres contre le troupeau en couleurs...

vendredi 29 octobre 2010

L'armée des ombres et la résistance-western


De toute manière, on n'aurait pas échappé à la Résistance – il y a des soirs comme ça. Au milieu d'un océan de niaiseries télévisées surnageaient deux films, hier. L'Armée des ombres et un film américain datant des années quatre-vingt, avec Meryl Streep, consacré lui aussi, tout au moins en son début, à cette période. Je tiens le film de Jean-Pierre Melville pour le meilleur et le plus grand jamais tourné sur la Résistance (avec La Grande Vadrouille, tout de même). Le plus vrai, le plus dur, le plus épuré sans doute aussi, le plus brutal, le plus froid et tendu à la fois. À égalité d'excellence avec Rome, ville ouverte.

Néanmoins, comme l'Irremplaçable l'avait déjà vu deux fois, et moi trois ou quatre, nous avons délaissé Simone Signoret pour Meryl Streep. Durant une demi-heure, qui se passa en ce qui me concerne à me languir de ne pas revoir le film de Melville. Dès que Catherine décréta (à très juste titre) que « Bon, ben... encore un film chiant... », nous bondîmes sur la chaîne voisine et rattrapâmes Lino Ventura et Paul Crauchet au moment où ils doivent exécuter le jeune traître. Dans la plupart des films traitant de cette période, on voit des partisans tuer comme on se mouche. Ici, la scène est à la limite du soutenable parce que l'on sent nettement les improvisés tueurs suer littéralement de trouille, autant que la victime en attente, bien que la leur soit plus dure, plus intériorisée ; qu'elle semble produire des ravages d'invisibles métastases. Et l'on comprend que tuer est une chose très difficile. (Le contexte étant tout autre, je me souviens d'une impression semblable, dans une scène de Blanc, de Kieslowski.)

Au bout du compte, je suis ressorti de cette quatrième ou cinquième vision du film dans le même état que les fois précédentes : à la fois tendu et écrasé, presque physiquement essoufflé. Car si la Résistance de carton-pâte qui est le lot ordinaire au cinéma, la résistance-western, exalte et glorifie, la véritable abat et glace.

jeudi 28 octobre 2010

Cette anticipation qui n'aura pas lieu – mais qui fout la trouille quand même

On me dira que ç'aurait pourtant été la suite logique de notre mariage, surtout s'agissant d'un mariage chrétien. Mais, non, sans façon. Il y aurait bien un aspect de cette anticipation pour trouver grâce à nos yeux, et ce serait le rajeunissement que l'on peut constater sur cette photo prise aux alentours immédiats de 1995, dans la cour de notre maison du Loiret, occupée de 1992 à 1996. Mais même de cela je ne suis pas certain. Surtout s'il me fallait de nouveau porter ce genre de tee-shirt et de bretelles.

Pourtant, on s'y trouvait très bien, dans cette maison, située au bout du bout d'un hameau : après nous, la petite route se faisait chemin de terre et descendait nonchalamment jusqu'au canal de Briare, puis, à travers des prairies régulièrement inondées, allait mourir aux berges de la Loire. Elle était de plus à un jet de bouchon de Pouilly et à deux de Sancerre, ce qui ne va pas sans certains avantages, on le concevra sans peine.

Et puis, c'était l'époque aujourd'hui enviable où je pouvais écrire un roman de 240 pages en quatre jours – performance qui me laisse sans voix et que j'ai même bien du mal à concevoir comme possible, matériellement possible. Pourtant, oui, je l'ai fait.

Quant au petit machin que Catherine tient dans ses bras, il s'agit d'Antonin, le fils de Kent, qui devait donc se trouver ce week-end-là en visite chez nous, comme il arrivait fréquemment à l'époque. Un bébé d'emprunt, si l'on veut. Ou “ à l'essai”. Essai non transformé, donc, comme il est désormais patent et irréversible.

mercredi 27 octobre 2010

Entre cérémonie religieuse et agapes profanes...



... nos invités alsaciens se sont accordés. (Je précise, pour les salopiots tentés d'interrompre ce grand moment vocal avant sa fin, que les trois derniers couplets ont été écrits spécialement pour l'Irremplaçable et moi, et sont donc une création mondiale.)

Un voile sur nos yeux et un édredon sur nos cœurs

Ainsi Pierre Manent * qualifie-il cette “religion de l'humanité” qui, depuis quelque temps, tient lieu d'alpha et d'oméga à la pensée modernodale, affirmant en outre qu'elle « tire sa crédibilité de conditions politiques qu'elle-même est incapable de créer. » Pour l'auteur, les « Européens peuvent penser qu'ils sont les citoyens naturels de l'humanité parce qu'ils n'ont pas besoin de se défendre » c'est-à-dire, on l'aura compris, parce que les États-Unis prennent encore en charge cette défense :

« Ainsi les Européens vivent-ils aujourd'hui de l'inertie de la forme nationale, de ce que j'ai appelé la religion de l'humanité et de la protection américaine. Tout cela ne fait pas un ordre politique vigoureux et destiné à durer. »

On le subodore, en effet. Mais alors que va-t-il se passer ? Quelles sont les possibilités d'échapper aux mâchoires du piège ?

« L'éventail des possibles n'est pas illimité ; il est au contraire terriblement restreint. Je ne parviens à concevoir que trois grandes possibilités. La moins probable est la production “héroïque” de cette forme politique nouvelle [destinée, a expliqué Manent un peu plus haut, à remplacer les nations, forme politique qui est la nôtre depuis le XVIIe siècle ]. Si vous discernez aujourd'hui en Europe un homme, un pays ou une institution capable de remplir ce rôle fondateur, dites-le moi. Le plus probable est que nous nous abandonnerons de plus en plus complètement à l'inertie, que nous boirons jusqu'à la dernière goutte la coupe de l'endormissement moralisateur. We feel so good. Mais enfin les pressions extérieures – économiques, politiques, militaires, migratoires – venues de pays ou de zones qui non seulement ne partagent pas notre religion de l'humanité mais même la méprisent (croyez-vous que les Chinois ou les musulmans se considèrent comme des citoyens du monde ?), ces pressions susciteront peut-être ce que j'appellerais des réactions de survie, quelque chose comme un : « nous ne voulons tout de même pas mourir ». Nous aurons peut-être envie de sauver du moins quelque chose de la vie européenne. Eh bien, ce que je dis seulement, c'est que dans ces conditions, troisième possibilité, les vieilles nations et la vieille religion seront une ressource inappréciable. Tout simplement parce que nous n'en avons pas d'autre. Comment leur redonner vie ? Je ne sais pas, mais la nécessité, Machiavel nous l'a appris, est un grand maître. »

Que sauver de la vie européenne ? s'interroge donc Pierre Manent. Grave question en effet. Mais à laquelle, heureusement, des dizaines de milliers de Français plus ou moins fonctionnarisés ont récemment, et hier encore, donné une éclatante et fougueuse réponse.

La retraite.


* Pierre Manent, Le Regard politique (entretiens), Flammarion, p.201 à 204.

mardi 26 octobre 2010

Grand ménage post marital

Ça n'avait rien de prémédité, je le jure. Il y a encore une demi-heure je n'y pensais même pas. Ça c'est produit quand j'ai ouvert ce blog, en faisant défiler l'écran vers le bas, lorsque mes yeux sont arrivés à mon petit coin des aliénés. Là, flash intense, j'ai compris que ce n'était plus possible.

Déjà, il y a quelques jours, j'en avais viré cette tumeur purulente qui s'appelle Ruminance, estimant qu'il y a tout de même des limites à la saloperie idéologique et à la bassesse intellectuelle. Et puis, là, tout soudain, une grande envie d'air pur. J'ai saisi mon balai par le manche avant d'en donner un grand coup aux aliénés. Tous. Pas d'exception ni de rémission. Je sais bien qu'il importe de connaître son ennemi, qu'il est essentiel de comprendre comment réagissent les déments idéologiques à tel ou tel stimulus, mais là c'était trop. J'en ai assez. Place aux jeunes, plus résistants et enthousiastes. J'irai lire des synthèses de la folie ordinaire chez ces jeunes gens remarquables, ça m'évitera les crampes d'estomacs et les aigreurs spirituelles.

Fort de ces résolutions hygiénistes, j'ai donné un second coup de balai, encore plus énergique que le premier, et tous mes aliénés se sont aussitôt évanouis dans l'air, comme un micro-tumulus de poussière que l'on remue. Une seconde plus tard, c'était comme s'ils n'avaient jamais existé. Et, du reste...

lundi 25 octobre 2010

Comment transformer un vieux fiancé en jeune marié ?


Comme ça...

Ou encore comme ça.

Il y avait longtemps, je ne te dérange pas ?

Mon cher toi,

tu ne nous as absolument pas manqué, puisque tu étais là, à chaque instant de cette journée. À un moment, il y a dix ou quinze jours (j'ai oublié le nombre : les vivants, vois-tu, perdent facilement le compte des jours quand ils les ont en excès, ou si l'on veut à libre disposition), j'ai décidé de te convoquer à cette cérémonie d'hier, j'ai même écrit un texte, assez court tout de même, et c'était un soir comme aujourd'hui, où j'étais seul sans l'être (bien entendu), où j'écoutais Jérôme Vallet (que tu ne connais pas). À peine écrit ( ce pauvre texte), je l'ai envoyé à Catherine (que tu ne connais pas davantage). Puis, sur le matin, quelque chose m'a éveillé, va savoir. Et je me suis précipité sur cet ordinateur de Catherine où je pianote en ce moment même, pour effacer de sa boîte mail ce malencontreux message que je pensais t'avoir envoyé, ces phrases absurdes que j'ai donc eu l'idée de te dire, en cette église, hier.

C'était idiot, bien entendu : tu étais là. Je ne peux pas dire que je l'ai senti, ce serait mentir. Mais je pense que tu étais là. Peut-être simplement parce que j'en avais décidé ainsi. Néanmoins, tu as entendu les filles d'André et Béa chanter, chanter avec leur mère, veux-je dire ? Non, sans déconner, tu as vu comme elles sont belles et comme elles s'aiment ? Tu te rends compte, imbécile, de ce que tu as raté, ce dernier quart de siècle où tu as joué les gisants ? Merde, tu aurais pu... Oui, bon, d'accord, on ne va pas refaire l'histoire, ni rembobiner rien du tout. Mais tout de même, ce mariage, tu m'aurais vu... Et ta filleule qui ne te connaît pas me servant de témoin à ta place (lâcheur ! fumier !), et sachant évidemment pourquoi elle était là : ah, non, vraiment, ç'avait de la gueule, je te jure !

Et, aussi bien, puisque j'en suis à t'avoir réveillé en sursaut, je pourrais te broder des couplets sur ces enfants Fernique que tu n'es pas censé connaître, mais que tu aurais aimés encore plus que moi peut-être. Et te dire que la moustache d'André se grisaille, autant que la mienne, et que Béa en revanche ressemble toujours trait pour trait à ces majestueuses photos de la rue du Sommerard que tu connais. Mais à quoi bon ? Soit tu le sais, soit je ne peux rien t'apprendre : silence, donc.

Silence toi-même ! Je n'ai nulle envie de le fermer, cet ordinateur, cet instrument étrange qui me relie à toi sans que tu le saches ni le connaisses. « Ce sont les gens qui meurent ! », affirme cette femme dans le disque de Jérôme Vallet que j'écoute en ce moment même (et je vous imagine, lui et toi, chacun sur une chaise, face à face sur une quelconque terrasse, un verre à la main, moi dans l'ombre et silencieux absolument – et c'est assez douloureux, malgré toutes ces années béantes).

Et voyons où en étais-je ? Nul n'a prononcé ton nom, hier. Mais tu étais partout et tout le temps. Trop fort, le Bernalin. Tout petit mais trop fort.

dimanche 24 octobre 2010

On l'a fait, bordel de Dieu ! (Euh... pardon...)

On n'aurait pu rêver mieux, je crois. Rien, vraiment rien n'a merdé, à aucun moment – ça tenait du miracle. Je me suis même souvenu, à l'instant crucial (ce qui est bien le cas de le dire), que je devais dire oui, et non non. (En fait, je triche, j'arrange, je mets en scène : à aucune moment l'Irremplaçable ni moi n'avons eu à le prononcer, ce oui.)

Bref, depuis hier, quatre heures moins le quart (environ), j'ai un anneau d'or à l'annulaire droit. Pourquoi droit ? Parce que. En fait, trois raisons réunies en faisceau. La première est que, étant gaucher, je me suis dit que l'alliance me gênerait moins à main droite. La seconde est que le général de Gaulle portait la sienne de cette façon et que j'ai toujours beaucoup aimé imiter le général de Gaulle : mon côté Henri Tisot rentré, je suppose. La dernière m'a été fournie par Catherine lorsqu'elle m'a expliqué que l'alliance se portait à l'annulaire gauche, parce que c'était la main se trouvant du côté du cœur. Or, je m'excuse, mais à chaque fois que l'on m'a cloqué un petit ressort dans une coronaire, le cardiologue est passé par le côté droit – qui est donc, en ai-je déduit, le plus sûr chemin pour parvenir au cœur, en tout cas au mien.

Et sinon ? Sinon, tout bien. Une journée qui aura du mal à s'effacer de ma mémoire (et pourquoi le ferait-elle ?), des hôtes peu nombreux mais choisis, qui ne se connaissaient pas mais l'avaient oublié au bout d'une demi-heure, et les enfants Fernique (qui ne sont plus des enfants), presque seuls capables de parfois me faire regretter de n'en avoir pas fabriqué moi-même, qui nous ont offert – avec leur mère – quelques chants superbes, dont un en l'église de Pacy-sur-Eure, véritablement magnifique et émouvant, et Ludovic qui a accompli l'héroïque exploit de ne pas boire une goutte d'alcool de tout le repas, parce que, trajet du retour, les vies nouvellement conjointes de sa mère et de son beau-père étaient entre ses mains, et Adrien qui se demandait comment il allait faire pour être à Tokyo dans quatre jours, comme il doit, avec les gamineries festives de nos putains de grévistes, et M. et Mme Crevette, par la faute de qui nous étions finalement treize à table et dont je me demande parfois comment j'ai pu vivre aussi longtemps sans les connaître. Il fut beaucoup parlé, ri et chanté – et finalement moins bu qu'on aurait pu le penser (même si, tout de même...).

Bref, il ne manqua que Robert Marchenoir pour que la fête fût complète.


Rajout de trois heures et demie : j'ai oublié de dire que, en plus de leurs quatre enfants, André et Béa étaient arrivés lestés de douze bouteilles d'un sublime Riesling. Et la bonne nouvelle, c'est qu'il en reste...

Rajout de six heures : Catherine aussi s'est mariée...

vendredi 22 octobre 2010

Dernier apéro en état de péché...


Bizarre et méandreuse conversation, pour ce dernier apéro avant la purification de demain. Dans un premier temps (donc pas saouls le moins du monde), nous avons réglé les détails de nos enterrements respectifs. L'Irremplaçable tenant à être incinérée et moi enterré selon la tradition (et dans un suaire, non dans un costume imbécile !), il fut décidé que, d'une manière ou d'une autre, ses restes seraient saupoudrés sur mon corps redondant et excessif, avant que de refermer ma bière (!). Et que nous ferions graver sur notre pierre tombale commune ce vers de François Villon :

Et nous les os devenant cendre et poudre,

ceux de Catherine étant effectivement en cendre et les miens promis à la poudre. Comme discussion de veille de mariage, ça se posait là.

Comment, en fin de parcours, avons-nous dérapé sur Céleste ? Nul ne saurait évidemment le dire. J'ai brillamment développé l'idée que cette grosse dinde stupide était l'exact équivalent du plus beauf des touristes de ma jeunesse : les uns se plaignant de ne pas trouver de bon camembert à Ouagadougou, ou de pinard buvable à Lhassa, tandis que l'autre se scandalise de ne pas voir ses droits de l'homme ou de la femme régner dans tous les endroits reculés et improbables où elle fourre ses putain de pieds. Bref, j'ai tracé en deux temps trois mouvements un portrait de la Céleste en touriste-à-bob-Ricard, assez étincelant et verveux je dois dire (et sans me vanter). J'ai aussi lancé une piste de réflexion, à laquelle je n'avais jamais songé avant qu'elle ne franchisse le seuil de mes lèvres : que dans les billets de cette malheureuse, on chercherait en vain la moindre notion (ou notation) de regard, dès lors qu'elle parle des Français ou, plus généralement, des Européens, ou, encore plus généralement, des blancs. Chez Céleste, seul l'étranger lointain, pauvre et pouilleux est doté d'un regard (toujours candide, toujours émerveillé, toujours pur, etc.). L'homme blanc, lui, est dépossédé de cette faculté de regarder, donc de voir : nous sommes, dans cette petite cervelle encagée et touristique, de sinistres aveugles malfaisants – un peu, le comique en moins, l'équivalent de Claude Brasseur dans Nous irons tous au paradis, saccageant un bar entier du bout de sa canne blanche.

Là-dessus, on est passé à table, et on a oublié ce fantôme du passé, ses éructations gentilles, son inaltérable et terrifiante bonté bonne. On a bien mangé, merci.


Carburant : fond de whisky et fond de Ricard...

Environnement sonore : pièces pour piano d'Alexis de Castillon de Saint-Victor.

Demain, déjà ? T'es sûre ?


Vous je ne sais pas, mais moi, j'ai un certain mal à me faire à cette idée que je me marie dans un peu plus de vingt-quatre heures. D'ailleurs, s'il se trouve, je n'ai fait que rêver toute cette histoire. On verra bien demain...

jeudi 21 octobre 2010

Ce crétin septuagénaire (il en faut)

Donc, il convient de tenir compte de ce que ces connards se voient dans le miroir. Ils sont nombreux, mais, en même temps, pas trop. Une faucille, un marteau. Le genre de chose dont on aurait tendance à s'excuser, un peu comme la croix gammée. Mais en fait, non. On ne s'excuse jamais d'avoir plongé dans les plus atroces cloaques du XXe siècle – au contraire, on s'en glorifie. Vous ne me croyez pas ? Tenez, prenez l'exemple de ce crétin septuagénaire. Il s'appelle Rémi Bégouen. Et il raconte ça. Bref, il avoue qu'il est un con, qu'il s'est agenouillé devant tous les dictateurs du XXe siècle, et il en est fier, et il trouve que toutes les manifs sont bonnes à prendre, mais il n'y va pas parce que, ce petit vieillard, son arthrose l'en empêche.

Ils en sont là, nos vieillards d'extrême-gauche : ils pensent que la révolution est à nos portes, mais enfin leurs muscles les trahissent. Ils sont ridicules, certes, mais ce n'est pas une raison pour se foutre de leurs gueules. Ils ont passé quarante ans à attendre le grand soir, et ils s'imaginent que le grand soir est là, pour une affaire de retraite. Ils sont drôles, mes ruminants.


Rajout du 22 octobre, dix heures du matin : Précisons que ma diatribe d'hier soir n'a rien à voir avec un quelconque clivage gauche/droite : mon indignation eût été exactement la même face à un nazillon cacochyme se vantant de son engagement passé dans la légion Charlemagne. Du reste, avoir soutenu le PC soviétique dans les années cinquante et soixante, puis la dictature de Mao les décennies suivantes, ce n'est pas être de gauche, c'est être simplement nuisible. S'en vanter revient à cracher sur les fosses communes des millions de victimes et à insulter les familles de ces morts. La honte devrait être leur seul sentiment, à ces suppôts de tyrannie. Mais comment être accessible à la honte, lorsqu'on est installé depuis toujours dans le camp du Bien éternel ?

Travailleurs, les proverbes vous mentent !


Les proverbes ne disent que très rarement la vérité ; le plus souvent, ils disent même n'importe quoi, comme tout bas-du-front pourrait s'en aviser s'il prenait la peine de réfléchir à leur contenu. Prenons-en deux (presque) au hasard.

L'HABIT NE FAIT PAS LE MOINE. Je suis tout à fait désolé d'avoir à le dire, mais lorsque par hasard vous croisez un homme vêtu d'une robe brune ceinte d'une cordelette à la taille, et surtout si vous êtes à moins de cinq kilomètres de Cluny ou de Saint-Benoît-sur-Loire, eh bien il y a de très fortes chances qu'il s'agisse effectivement d'un moine. De même, si dans le métro vous voyez monter trois mâles de 20 à 25 ans vêtus de survêtements à faire dégobiller n'importe quel semi-esthète et la tête enfoncée dans des capuches, vous ne penserez sans doute pas spontanément qu'ils sont cadres dans une boîte de conseil informatique et qu'ils s'habillent comme ça uniquement pour tromper leur monde. En revanche, il est exact que, sur le nombre de filles habillées comme des pierreuses que l'on peut croiser chaque jour, très peu finalement vous feront payer leurs prestations en numéraire.

IL N'Y A PAS DE SOTS MÉTIERS. Un rapide examen de votre propre boulot et de ceux de vos proches connaissances vous montrera immédiatement l'inanité criante de ce proverbe. Vous serez même obligé d'admettre qu'en réalité il n'y a presque que des sots métiers – et qu'ils sont de plus en plus nombreux à mesure que le monde devient davantage modernœud. C'est au point que les anciens métiers nobles qui perdurent trouvent le moyen de se parer d'une auréole de sottise afin de ne pas trop jurer sur l'ensemble. Ainsi le paysan s'est-il dans un premier temps scindé en cultivateur et éleveur, avant de se muer en exploitant agricole. Statut provisoire, on peut en être sûr : il sera demain un entrepreneur terrien voire un manager de sols nourriciers. Ce jour-là, il n'y aura vraiment plus que des sots métiers.


En revanche, les clichés et autres lieux communs, trop souvent décriés, recèlent souvent, eux, une grande et précieuse part de vérité – mais c'est généralement une vérité désagréable. Ils seront l'objet d'un prochain billet. Ou peut-être pas. Car, comme dit le proverbe : souvent blogueur varie.

mercredi 20 octobre 2010

La télé et les journaux sont d'immondes racistes !

On se demande d'ailleurs par quel miracle ils ont encore le droit de se livrer à leurs ignobles agissements. Comment ils peuvent continuer de stigmatiser en toute impunité nos petits damnés de la terre à nous, portatifs et importables. Car c'est bien ce qu'ils font, lorsqu'ils prétendent montrer au bon peuple les images des divers actes de voyouterie se déroulant un peu partout en France depuis quelques jours. Est-ce qu'ils ne se rendent donc pas compte, ces crypto-fascistes aux caméras nauséabondes, que sous couvert de montrer la réalité, ils la dévoilent ? Qu'ils exhibent sans pudeur ce qu'on leur enjoint de taire depuis des années ?

Il faut que soit mis fin à ce scandale immédiatement. Et je suggère que, désormais, lorsqu'ils sera question à la télévision de casseurs “lycéens”, l'écran soit entièrement flouté. Sauf, bien sûr, si le caméraman parvient à repérer quelques blancs à nuque rasée, auquel cas il sera tenu de dénoncer l'infiltration provocatrice de l'extrême-droite – faut pas déconner non plus avec les invariants du genre.

mardi 19 octobre 2010

Du berceau à la tombe, mais tous ensemble et unis


J'aime bien ces périodes régulières de contestation de rue, et pas parce qu'elles me rappelleraient ma jeunesse : déjà tout petit je ne me mêlais pas à ces troupeaux. Non, c'est surtout que, brusquement décomplexés, la sottise et le ridicule s'y donnent à admirer avec une sorte de satisfaction innocente : on peut dire et faire n'importe quoi, à condition d'être dans la masse, de marcher du même pas et dans le même sens. Que penser par exemple de ces adolescentes, entr'aperçues hier soir à la télévision, qui s'offraient un petit parcours fléché en criant quelque chose comme : « Ne touchez pas à nos pensions ! » À nos pensions, n'est-ce pas. Je suppose qu'elles faisaient allusion à ces oboles éventuelles et problématiques qu'elles peuvent espérer recevoir d'ici un demi-siècle, si tout va bien – or, je doute fort que tout aille bien pour elles, malheureusement. Du coup, un certain vertige naît de ces images, qui prendraient presque des allures de film comique, de scènes à charge. Imagine-t-on, vers 1910, des jeunes manifester avec componction pour assurer leur gamelle de 1960 ? Ah, vous voyez : vous-mêmes souriez à cette évocation ! Si eux-mêmes, ces lycéens, n'ont aucune conscience du grotesque un peu triste émanant de leurs banderoles, c'est qu'ils sont sincèrement convaincus qu'il y aura toujours des caisses de retraites, bien implantées et immuables au cœur d'une France éternelle.

C'est ce qu'on appelle être réactionnaire.

lundi 18 octobre 2010

Christophe Bohren is well, alive and so on...


Ce digne garçon ayant vu son blog se faire disperser façon puzzle par un hébergeur abusant du droit à la connerie et à la lâcheté, il s'est empressé d'en ouvrir un nouveau.

Il est ici.

dimanche 17 octobre 2010

De Dieu, des grévistes et de Harry Mulisch

Il n'est pas impossible que notre mariage du 23 octobre soit annulé – ou plus exactement reporté sine die. Pour cause de grèves. Si nos invités/témoins venant de la lointaine Alsace ne peuvent risquer le voyage, pour cause de fermeture des raffineries pétrolières, nous serons bien obligés de surseoir, dans la mesure où il est hors de question que nous nous passions d'eux. Ce qui signifierait que Dieu recule devant Besancenot : mauvaise nouvelle. D'un autre côté, je le comprends : si j'étais Dieu, je ne parlerais pas non plus avec Besancenot. Et puis, l'éternité étant à portée de nos mains, quelle importance de repousser ce mariage de quelques mois ?

Sinon, j'ai repris tout à l'heure la lecture de La Découverte du ciel, roman de Harry Mulisch, écrivain hollandais, lu il y a dix ans avec une excitation maximale et presque totalement oublié depuis (contrairement à Catherine, qui s'en souvient fort bien et qui, donc, m'énerve). Fils d'un collaborateur nazi et d'une mère juive, Harry Mulisch a pu dire sans ridicule : « Je suis la Seconde Guerre mondiale. » Et je vous invite à lire ce très gros roman (1100 pages en Folio) toute affaire cessante, parce que j'en conserve un souvenir ébloui, bien que n'en conservant aucun souvenir (allez comprendre).

Carburant : Ricard et whisky “Famous Grouse”.
Écoute : Le Clavier bien tempéré, encore.

Les blogogoles se déchaînent...


Ce matin, je suis tombé sur cette phrase (et je ne vous dirai pas où) :

Le cercle infernal est bien avancé…

C'est beau comme du Verlaine.

samedi 16 octobre 2010

Zapéro balzacien (avec deux Z, s'il vous plaît)

Dans la mesure où l'apéro est appelé à disparaître dans un avenir dramatiquement proche, on s'en est repris un petit ce soir, évidemment. Durant lequel, à cause de Félicien Marceau, je me suis mis à parler de Balzac. (Note à l'intention des gens qui pourraient m'avoir chez eux à déjeuner ou à dîner : il ne faut jamais me faire parler de Balzac. Ou alors, il faut attendre que j'aie fini de picoler. Mais enfin, je suis capable de faire chier tout le monde rien qu'avec Balzac...)

Bref, j'ai découvert cette puissance de Balzac : on peut très bien (et nous l'avons fait ce soir, Catherine et moi) parler de ses personnages comme s'il s'agissait de personnages presque réels. On peut détester (c'est mon cas) Lucien de Rubempré, même souhaiter qu'il lui arrive encore plus de malheurs que ceux que Balzac a prévus pour lui. On peut aussi s'agiter de la même manière à propos de la princesse de Cadignan (qui nique sa race à Daniel d'Arthez, cet écrivain à manche à balai dans le cul) ou de Victurnien de j'ai-oublié-quoi, ou...

Bref, durant cette heure de zapéro, on a parlé de ces personnages balzaciens comme s'ils existaient. Or, en effet, ils existent. Ils sont très exactement entre rêve et réalité. Et, à ce moment, j'ai dit à Catherine que les personnages balzaciens étaient tellement vivants qu'ils ressemblaient aux blogueurs : pas tout à fait réels mais vivants néanmoins.

Alors, elle m'a dit : « Note-le, c'est une idée intelligente. »

Je ne suis pas certain que ce soit une idée intelligente, mais enfin, c'est ce qui est ressorti de cet apéro...

Carburant :

– Catherine : whisky
– Moi : Ricard

Environnement sonore :

– Bach, Clavier bien tempéré, par Richter.

Mais comment a-t-il fait pour décrocher le Nobel, celui-là ?


« Toute bureaucratie est intrinsèquement socialiste. »

Les Enjeux de la liberté

vendredi 15 octobre 2010

Ce fier exil, ce triste exil


Depuis ce matin, quasiment dès mon lever, tourne et retourne dans ma cervelle le début d'un poème de Paul Verlaine (uniquement le début car la suite s'effiloche en lambeaux dans ma pauvre mémoire) – que j'aime beaucoup mais là n'est pas la question :

Ô triste triste était mon âme
À cause à cause d'une femme
Je ne me suis pas consolé
Bien que mon cœur s'en soit allé...

(Comme je ne sais pas quelle ponctuation mettre ni où, je vous livre le matériel, vous en ferez ce que voudrez : ... ,,, ;;; !!! J'ai compté largement.)

C'est d'autant plus curieux que :
1) je ne suis pas triste ;
2) en tout cas pas à cause d'une femme ;
3) je ne suis même pas sûr d'avoir une âme.

L'esprit humain est une drôle de boutique.

(Pour le titre de ce billet, n'ayant en apparence rien à voir, il s'agit d'un autre vers du même poème. Dont, en plus, le titre m'échappe.)

jeudi 14 octobre 2010

Le dernier zapéro des vallées perdues (Alan Ladd n'est pas très loin)

Il y a déjà quelque temps que je ne me suis plus servi de ce libellé : Zapéro, qui dans mon esprit évoque un clown – pas n'importe lequel : un auguste maladroit et peinturluré, avec de gigantesques chaussures ; un genre de Francini (du “couple” Alex & Francini de La Piste aux étoiles de mon enfance – présentation : Roger Lanzac, le Grand Sympathique (les vieux me comprendront)).

Donc, utilisons-le une dernière fois, puisqu'il va disparaître. Pourquoi va-t-il disparaître ? Vous verrez bien : lisez le journal d'octobre, vers la fin de novembre.

Là, normalement, si je voulais respecter les lois du genre, me plier au libellé, je devrais vous relater ce qui s'est dit entre l'Iremplaçable et moi, durant cette petite heure suspendue. Lorsqu'elle m'a quitté pour se transporter devant la télévision, elle m'a dit en substance : « Eh bien, je te souhaite bon courage, vu ce qu'on s'est dit ! » J'ai fait le faraud : « Pas grave : je vais magnifier, comme d'habitude... »

Magnifier, donc. Mais magnifier quoi ? Le fait qu'on a décidé d'en finir avec les chiens de race qui coûtent la peau du cul, pour aller, la prochaine fois (dans ce “prochaine fois”, il y a la mort contenue de l'un des trois vivants, déjà), dans le refuge le plus proche et en ramener (pas rapporter !) le laissé-pour-compte qui aura eu la bonne idée de nous regarder et d'agiter sa queue au bon moment ? Oui, bon...

Magnifier nos frissons à propos de ce putain de mariage du 23 prochain ? Certes, aussi : ce n'est tout de même pas rien, de se marier, même quand on l'est depuis 16 ans, vous aurez beau dire. Et surtout pour un traqueur dans mon genre. Imaginez cela, cette image ridicule : cent cinq kilos de viande qui s'éveillent en pleine nuit et ne parviennent plus à se rendormir (alors qu'elles devraient bien le faire) simplement parce qu'il n'est pas entièrement certain que SIX petits fours par tête soient suffisants, ou parce qu'il y a un “trou” de vingt minutes dans l'emploi du temps de cette journée et que, donc, les amis invités vont s'évanouir à jamais, sourcils froncés, lèvres pincées – qu'ils se rendront compte, là, enfin, de ce qu'on vaut...

Et, du coup, on ne se rendort pas, ou pas tout de suite. C'en devient amusant tellement c'est con.

Enfin, voilà, j'ai magnifié. On a parlé de ça, entre autres sujets déjà évaporés. Et ç'a eu lieu durant cette période suspendue que j'aime : entre mon arrivée et le moment où le monde semble s'endormir – et s'endort en effet, en tout cas dans ce petit coin de Normandie. Il me reste à justifier mon libellé :

Carburant : Moi : Ricard.
Catherine : Coca light, puis Muscadet.

Environnement : Shirley Horn, puis Bach (Offrande musicale).

mercredi 13 octobre 2010

Une merguez party, dix de retrouvées

Ça devait arriver, forcément. De se voir ranger parmi les aliénés de ma blogroll, les Ruminants sont en train de devenir réellement fous. J'ai commencé à m'inquiéter en découvrant le titre du billet du jour, pourtant dû à mon ami Lediazec que je considère comme l'un des moins atteints :

Le droit est un devoir citoyen

Sur le moment, j'ai cru à un pastiche, comme je peux en faire moi-même quand je suis d'humeur farceuse. J'ai vite compris que non, on n'était pas là pour rigoler. Du coup, j'ai commencé à avoir vraiment la trouille. Ou, disons, un assez fort sentiment d'irréalité. Lequel s'est aggravé lorsque j'ai lu les nombreux commentaires du billet de la veille, qui traitait bien sûr des grandioses manifestations des pré-retraités (car, désormais, on est pré-retraité à tout âge – c'est le progrès) : eux, mes Ruminants, avaient dépassé le stade du cortège revendicatif et avaient déjà le gros orteil dans la vague révolutionnaire qui, c'est sûr, garanti sur fracture, va tout balayer, tout emporter. Pour eux, pas de doute : la Révolution est là, c'est pour demain, peut-être même cet après-midi. S'ils tendaient le bras ils pourraient presque la toucher – mais ils ne le font pas, à cause de leurs rhumatismes.

J'ai l'air de me moquer, mais même pas. Peut-être est-ce l'effet du grand âge qui commence de m'accabler moi-même et de ses ramollissement subséquents, ils m'attendrissent plutôt, mes chers sépulcres blanchis, prêts à suivre les prochains cortèges dans leurs fauteuils électriques, le couteau entre les dentiers. Attendrissement débouchant toutefois sur un léger vertige, de penser que l'on puisse entendre “révolution” lorsque les sages manifestants qui passent devant vous, avec poussettes, banderolles et ballons, clament “retraite” et “avantages acquis”.

Notre époque a donc finalement accouché de ce mirobolant concept : la révolution pour que rien ne bouge. On se croirait dans Le Guépard de Lampedusa, mais dans sa version deux-pièces-cuisine avec sèche-linge sur la galerie.

mardi 12 octobre 2010

Eh bien passons à la vitesse différente...

Je suis passablement accablé par la teneur des “récriminations” qu'a entraîné mon billet d'hier, qui traitait donc – fort sommairement et assez maladroitement – de la haine de l'art, sentiment que je persiste à croire assez répandu et qui me semble directement découler d'une autre haine contemporaine, encore plus commune et virulente, celle de l'inégalité entre les hommes. Personne ne semble vouloir plus admettre qu'il y a des hommes “supérieurs absolus”, que nous sommes tous des hommes “supérieurs relatifs” (à certains) et par voie de conséquence “inférieurs relatifs” (à d'autres). Non, non, m'adjure-t-on avec un mélange d'empressement et d'affolement perceptible : ne parlez pas de supériorité, dites différence – tout juste si on n'ajoute pas : s'il vous plaît.

Mais oui, je veux bien, moi, parler de différence ! Encore que je préfère toujours parler de différences-au-pluriel. Mais n'attendez pas que je confonde différence avec supériorité, et encore moins que j'annule le second terme au profit du premier. Parlons des différences entre Stendhal et Flaubert, si ça vous chante : c'est un sujet intéressant. Encore que, pour en dire des choses vraiment fécondes, il y faudrait une intelligence supérieure à la mienne. Mais vous voudriez vraiment que l'on perde ne serait-ce que cinq minutes à évoquer les différences entre... je ne sais pas moi : Arnold Schönberg et sa lingère ? Virginia Woolf et son jardinier ? George Clemenceau et son banquier ? Louis-Ferdinand Céline et ses patients ? Matisse et son modèle ? Charles Baudelaire et Ernest Pinard ? Réellement, ça vous amuserait ? Eh bien pas moi.

lundi 11 octobre 2010

La haine de l'art se donne à voir, ou : l'artophobie n'est pas un crime

Tout le monde aime l'art et les artistes – surtout de nos jours, vous pensez bien. Tout le monde exceptés ceux qui les haïssent, mais dont la haine se voit peu parce qu'elle s'affuble d'un bon sourire et de mille gesticulations gracieuses. Et leur nom est Légion car ils sont fort nombreux.

Comment peut-on détester l'art, ou plus exactement pourquoi le déteste-t-on ? Il y a probablement plusieurs raisons réunies en faisceau, mais comme je n'ai ni l'intelligence ni la patience pour les désassembler j'en retiendrai une, qui me semble promise à un avenir chaque jour plus assuré. Un artiste est au départ un poupon comme nous le fûmes vous et moi mais qui, par la suite, développe une vision du monde, une compréhension de lui-même et des autres plus profondes, plus larges et plus colorées – on pourrait-dire plus charnelles, peut-être – que les autres poupons grandis autour de lui. En un mot, il devient un être supérieur : vilain mot. Et non content de l'être, il nous l'affirme et le prouve par l'œuvre qu'il crée ; non pas par vanité mais pour tenter de nous faire partager cette vision et cette compréhension – pour nous en faire profiter. De cette supériorité, tranquillement posée comme une évidence, naît quasi automatiquement la haine. Laquelle s'exprime, à notre époque, principalement de deux manières, qui ne s'excluent pas l'une l'autre.

La première consiste à noyer le poisson, c'est-à-dire à diluer l'art dans tout ce qui l'entoure de près ou de loin, comme on rend inoffensif l'alcool par les litres d'eau dans lesquels on le disperse. C'est ce que font tous les jours les modernœuds angéliques qui affirment la main sur le cœur que tout art en vaut un autre, qu'il suffit qu'un artiste se proclame tel pour l'être effectivement, qu'un excellent chef cuisinier vaut un grand peintre et qu'un auteur de polars est l'équivalent d'un compositeur de symphonies – les comparaisons pouvant être multipliées à l'envi, avant d'être vigoureusement mixées en tambouille dans le grand chaudron de la “culture”. Bien entendu, et sous nos yeux, ces angéliques se transforment illico en dogues prêts à mordre, si jamais on en vient à mettre quelque peu en doute la saveur du brouet ainsi obtenu.

La seconde voie d'expression de la haine de l'art est plus détournée – je n'ose pas dire plus subtile. Elle consiste à suggérer, à laisser entendre (voire à dire carrément) que oui, en effet, les grands créateurs donnent naissance à des œuvres que ni vous ni moi, etc., mais qu'ils n'y ont pas grand mérite, au fond ; pas plus que le pommier n'en a de produire ses pommes : c'est dans leur nature, voilà tout. Une particularité amusante de leur complexion personnelle. Mais pour le reste, pour tout le reste, on vous l'assure presque aussitôt et à claironnante voix : ces personnages que vous avez la naïveté de croire supérieurs, eh bien ils sont comme tout le monde. À hauteur d'homme, quand ce n'est pas, même, un peu plus bas.

Je pensais à cela, hier soir, en tombant par hasard et malchance, à la télévision, sur la deuxième heure du grotesque – et même assez répugnant – Amadeus de Milos Forman. Que nous donne-t-on à voir, à travers ce personnage que l'on a étrangement affublé du nom de Wolfgang Mozart ? Une sorte de guignol punk à perruque mauve, qui ne songe qu'à rire (et quel rire...), boire et fourrer les bonniches, tout en essayant (mais vainement, bien sûr) de se débarrasser de l'image encombrante de papa : c'est Œdipe au clavecin. Et puis, çà et là, vite fait sur un coin de table, parce qu'il faut bien vivre, il expédie une partition comme on pèlerait un fruit, ou telle une poule se débarrassant de son œuf sans penser à mal ni à bien.

À côté, on a droit à tous les tourments “existentiels” de Salieri, ses souffrances, ses tortures, ses doutes, sa part d'ombre, etc. Parce que, lui, Salieri, est un artiste comme il est permis de les aimer, ou du moins de ne pas les haïr : pas de génie, mais un sens très humain de la réussite sociale – rien de dangereux pour notre propre ego en somme. Et, le film terminé, on finirait par se dire que, Mozart ne pouvant en aucun cas lui être supérieur, intrinsèquement supérieur, il est en effet bien injuste et fort discriminant pour ce pauvre Salieri que la postérité ait décidé de passer ses opéras à la trappe pour encenser ceux de l'autre zébulon.

Il y a d'autres exemples de cette “tactique”. Balzac, que plusieurs de ses contemporains ont décrit comme “bête et ignare dans la vie” (Gavarni). Au point que, bien obligé tout de même de reconnaître la puissance et la profondeur de son génie, ce même Gavarni ne peut l'expliquer que par une sorte de magie, un mystérieux magnétisme qui, chaque nuit, par le simple fait de s'asseoir à sa table, transformerait ce crétin d'anthologie en un des plus grands écrivains que la France ait donnés au monde.

Anton Bruckner aussi traîne cette réputation d'imbécile heureux, de ravi de la crèche qui, de temps à autre, sans doute à son propre étonnement, laisse choir une symphonie comme une vache sa bouse. Mais, lui, c'est sans doute parce qu'il était catholique et dévot : un truc qui ne pardonne pas.

Et puis, il y a la quasi-totalité des poètes. Si l'on veut bien accorder de l'intelligence à Mallarmé ou à Valéry, c'est pour mieux mettre en doute celle de presque tous les autres. Pour eux, on a réanimé une vieille Grecque : la Muse. Grâce à elle, on peut transformer le poète en une sorte de poste de TSF qui se contente de répercuter les mots qui lui arrivent d'ailleurs. On se demande même si le poète comprend ce qu'il diffuse. Probablement pas. Ou pas tout. Ou de traviole. Ou bien il s'en fout.

Exactement comme nous, en fait.

dimanche 10 octobre 2010

On ne découvre pas une forêt en observant un arbre – ça ne se discute pas

Pour qui espère se faire une idée de qui était Balzac, de ce qu'il représente d'unique et de presque monstrueux, dans la littérature française, lire un de ses romans n'a pas grand sens. En lire dix n'en a d'ailleurs pas beaucoup plus. Il n'y a en fait qu'un moyen, me semble-t-il : casser sa tirelire ou son Codevi, acquérir toute La Comédie humaine, et s'y plonger en apnée durant six mois (ou trois, ou douze : c'est selon la quantité de lignes imprimées que vous êtes à même d'avaler chaque jour), en commençant par La Maison du chat-qui-pelote et en ne s'arrêtant qu'à la dernière page de Séraphita. Sans doute n'est-il pas absolument nécessaire de lire tous ces romans & nouvelles dans l'ordre où Balzac les a disposés ; mais j'attends qu'on me dise quel intérêt il y aurait à le bouleverser, cet ordre. Lorsque vous aurez fini de traverser ce monde, vous le laisserez derrière vous une dizaine d'années environ. Puis, vous le parcourerez de nouveau, de nouveau dans la totalité de son étendue. Ensuite, et ensuite seulement, vous pourrez vous permettre de ne plus relire de Balzac qu'un roman par-ci, par-là, au gré de vos fantaisie et humeur. Illusion perdues, par exemple.

Elles furent, ces Illusions, mon tout premier contact avec Balzac, et elles ne furent pas perdues pour tout le monde. J'avais tout juste dix ans, je crois bien – il faudrait vérifier, fouiller le cortex googlesque, mais je n'en ai pas très envie – et le contact s'établit par le truchement d'une adaptation télévisée, dont il me semble bien qu'elle était en quatre films et ne concernait que les deux premières parties de l'œuvre. Une chose dont je suis certain, par exemple, c'est que j'avais exceptionnellement eu le droit de regarder la télévision après huit heures du soir, au motif que mes parents étaient absents (mais où pouvaient-ils bien être ?) et que je restais sous la seule garde de ma grand-mère paternelle. Elle a dû, le lendemain, dire à mon père ou à ma mère à quel point je m'étais passionné pour les amours angoumoises de Lucien Chardon et Mme de Bargeton, si bien que j'ai été autorisé à regarder aussi les trois épisodes suivants – durant lesquels mon intérêt n'a pas faibli.

Vision tellement marquante que je me souviens encore aujourd'hui, et sans avoir jamais revu ces quatre films, du nom d'un certain nombre des acteurs qui y apparaissaient. Pour Lucien c'est assez facile puisque Yves Rénier qui le campait est toujours plus ou moins en activité. Mais qui se rappelle encore François Chaumette (M. du Châtelet) ou Anne Vernon (Anaïs de Bargeton) ? Qui à part moi pour se souvenir que Bernard Noël (Etienne Lousteau) fut pour la télévision un premier et remarquable Vidocq, bien avant Claude Brasseur, et que Gainsbourg chantait la chanson du générique ? Et – revenons à Balzac – il y avait aussi, dans le rôle de Daniel d'Arthez, l'écrivain, cet acteur que j'ai longtemps confondu avec Charles Denner, et dont il me semble que le prénom est Denis – ce même comédien qui campait Henri III dans une autre adaptation télévisée, un peu plus tardive : La Dame de Monsoreau. J'ai oublié tous les autres.

Finalement, près de 45 ans plus tard, il ne reste que Balzac, ce qui est bien suffisant, notamment pour la fameuse île déserte. Et aussi la silhouette mince de Lucien, de dos, noir et blanc de rigueur, s'en retournant à pied vers Angoulême.

samedi 9 octobre 2010

Un Honoré peut cacher un Théophile

Dans le Balzac et son monde de Félicien Marceau, j'apprends une chose curieuse – curieuse sans doute seulement parce que je l'ignorais. Dans les Illusions perdues, il nous est donné à lire quatre des poèmes censément écrits par Lucien de Rubempré. Si le premier, À Elle, dédié à Mme de Bargeton, est bien dû à la plume de Balzac lui-même, il n'en va pas de même pour les trois sonnets qui l'accompagnent, Balzac en ayant passé commande, pour ainsi dire, à Mme de Girardin pour le premier (la Marguerite) et à un certain Lassailly pour le deuxième (le Camélia). Quant au troisième, intitulé la Tulipe, il est dû au talent de Théophile Gautier.

Et puisque je suis là, j'en profite pour signaler que ce livre de Félicien Marceau s'annonce remarquable – pour qui s'intéresse à La Comédie humaine bien entendu –, et que l'auteur semble tenir le petit Lucien Chardon en aussi piètre estime que moi-même, ce qui nous oppose tous les deux à Oscar Wilde, mais là n'est pas le propos.

À gauche on pousse de la fonte, à droite on trinque !

À mon petit Schwartzy toulousain...


Les blogueurs sont des gens étonnants (oui, bon, pas tous). Les modernœuds en général sont des gens étonnants, avec leur vertu à géométrie variable., leurs indignations dans le sens du vent. Aujourd'hui, le réjouissant CSP nous gratifie d'un petit billet dans lequel il m'associe étrangement à Jérôme Leroy (je dis étrangement parce que Leroy et moi ne nous connaissons absolument pas et que, en outre, je me sens assez peu d'affinités avec lui, finalement), et où il nous traite tout tranquillement d'alcooliques, comme ça, en passant, sur le ton que l'on prend pour rappeler une évidence universelle.

Déjà, je ne sais pas ce qu'il en est de Leroy, mais enfin, en ce qui me concerne, je ne le suis nullement, alcoolique – et je suis navré de décevoir de ce point de vue. Pur coup de chance d'ailleurs, j'en conviens ; ivrogne tant qu'on voudra, mais alcoolique non. Évidemment que ce brave petit CSP se foutrait de moi si je venais lui rappeler que, citant mon vrai nom, il peut par cette assertion me causer un tort considérable (professionnellement) et que, partant, je serais fondé à le traîner devant je ne sais quel tribunal, chose qui bien entendu ne m'a pas effleuré l'esprit une seconde. – Mais c'est sans doute parce que j'avais trop bu, comme tous les soirs : il faudra que je pense, demain matin, quand je me serai désenglué de mon vomi quotidien, désencombré de ma casquette en plomb, débarrassé par quatre ou cinq bières de mes trémulations matutinales, à demander ce qu'il en pense à Jérôme Leroy. (On s'appelle tous les matins, Jérôme et moi : – T'as pris ta troisième bière ? – Non, j'en suis à la première... – Feignasse ! Comme on est encore bourré de la veille, on ne comprend rien à ce qu'on se raconte – on rigole bien, Jérôme et moi.)

Bref, il ressort que, pour ces gens-là, on devient une pourriture nazoïde dès que l'on émet un doute, aussi léger soit-il, sur les bienfaits de l'immigration (exemple pris totalement au hasard...) ou sur l'exemplaire moralité républicaine de tel tri ou quadrigame barbu, toucheur d'allocs en tous genres et bâcheur de femelles, mais qu'eux peuvent tout tranquillement taxer quelqu'un d'alcoolisme – lequel est censé être, je le rappelle, une maladie, donc un truc vachement bien et vachement de gauche. Dans le même temps, si, moi, je risque une plaisanterie sur les enfants mongoliens ou sur les aveugles qui s'emplâtrent la gueule dans un réverbère, je vais illico passer pour un monstre. Mais se moquer de supposés alcooliques (à condition qu'ils aient été au préalable estampillés de droite, bien entendu, sinon c'est tromper) ou faire des blagues atroces sur les vieux, ça c'est très fun. Le signe d'une belle indépendance d'esprit, le paraphe du mec à la redresse.

Eh bien, n'en déplaise à ce pauvre CSP, mimant la révolution dans son HLM pourri, où non seulement je n'accepterais pas de vivre mais où je rechignerais à mourir, je préfère prendre une murge tout seul dans mon salon en écoutant L'Offrande musicale que d'aller pousser de la fonte avec lui dans sa salle Garden-Truc de pue-la-sueur RMistes.

Bon, il est vrai que je l'avais un peu titillé avec mon billet d'hier soir. Le pis est que je ne peux me défendre d'une certaine sympathie, bien réelle, pour ce garçon. Je le trouve rafraîchissant, il me rajeunit. Je vois assez bien ce qu'il va devenir, ce Drogo de la révolution mondiale. Et, parfois, j'ai l'impression qu'il le voit aussi. D'où ses trépignements. Tu peux dormir, jolie et musculeuse sentinelle : l'ennemi ne viendra pas.

vendredi 8 octobre 2010

Pour un petit sourire avant d'aller se coucher


Chez l'un de mes aliénés, je tombe sur la phrase suivante, que je vous offre bien volontiers :

Je ne sais pas si les gens du village avaient conscience
de la bombe qui sommeillait à leurs portes.

Allez savoir pourquoi, je la trouve irrésistible.

Mange ta main toi-même, eh !


Un blog qui tape sur les blogs, et qui le fait avec une drôlerie certaine,
ça ne se laisse pas passer...

jeudi 7 octobre 2010

Nos adversaires sont amusants


Ils sont nombreux, et très différents les uns des autres, ce qui les rend encore plus amusants. On a envie de les couper en morceaux, mais ça ne servirait à rien. – d'autant qu'ils ne sont pas mangeables, même pour nos chiens. Il y a évidemment Céleste (je veux dire : les célestes, avec un petit “c” : un symptôme plus qu'un individu réel), ma préférée, celle qui se fera couper la gorge avec le sourire, celle qui aime le monde entier, à condition qu'il soit basané et pauvre (c'est-à-dire le contraire d'elle), sans savoir que “le monde entier”, ça n'existe pas. Les Céleste pensent notamment que si on abolit les frontières, l'humanité va d'un coup devenir une sorte de gardiennage IKEA, ne demandant qu'à rire, à jouer, etc. Or, naturellement, si on abgolit les frontières et les différences, la sauvagerie intrinsèque se déchaînera dans le quart d'heure. Bref, Céleste est une pitoyable conne n'ayant aucune idée de ce qu'est l'homme. On le sait depuis un moment, il est inutile d'y revenir.

Il y a aussi les révolutionnaires. Ceux-là sont moins gênant, moins dangereux – rigolos et fokloriques : ils font du bruit, des moulinets avec leurs petits bras, mais rien de plus. Prenez mon ami CSP, par exemple. Sous prétexte qu'il écrit à peu près en français, on pense qu'il est intelligent. De fait, par rapport à ses commentateurs, il l'est – mais ce n'est pas mettre la barre bien haut. Sinon ? Il atteindra les 80 balais (comme Krivine, comme l'autre con trotskiste dont la mort a été annoncée ces derniers jours alors qu'il pourrissait depuis déjà un an, dont le nom m'échappe, et échappe à tout le monde) et attendra toujours la révolution. Il aura passé sa vie à attendre : why not ? C'est son histoire. Il n'y a jamais de vraie révolution. Une révolution est toujours fausse, elle consiste juste à redistribuer les cartes – la nature humaine étant ce qu'elle est. Tous les gens qui s'intéressent vraiment à la politique se foutent de ce genre de petits crétins inutiles, braillards, gesticulants et, somme toute, assez drôle..

J'ai connu les mêmes, il y a environ 35 ou 38 ans, quand l'autre polichinelle n'était même pas né : le discours était exactement (mais alors, exactement) le même. La seule différence est que mes cheveux étaient plus longs. Les leurs aussi, du reste : c'était la panoplie obligée. Les gauchistes adorent les uniformes, contrairement à ce qu'ils croient eux-mêmes : c'est d'ailleurs leur seule manière d'être jeunes, ce goût du semblable. Je signale aussi que, à mon époque, les gauchistes réfléchissaient (ou croyaient réfléchir) et qu'ils n'allaient évidemment pas se muscler au Gymnase-Club ni ne s'agenouillaient devant les plus cons des films hollywoodiens, comme ce parfait américanophile-qui-s'ignore de CSP. En un mot, même les plus recuits des bourgeois, s'il en reste, n'ont rien à craindre de ce genre de petits ludions, puisqu'ils fabriquent et vendent ce qsue ces petits crétins ne demandent qu'à acheter.

Les gauchistes de ma jeunesse se souciaient de leur cerveau (un peu) et absolument pas de leur viande. Ils étaient très bêtes (parce que très jeunes), mais enfin, au moins, ils n'allaient pas pousser de la fonte pour se faire des muscles. – Fin de la parenthèse.

Maintenant, passons à la droite. Ça n'existait pas. Un lycéen (ou étudiant) de droite, ça n'existait pas, quand j'étais petit. C'est-à-dire que ça fermait sa gueule. En réalité, il y en avait autant qu'aujourd'hui, mais ils avaient bien compris qu'ils n'étaient pas “dans le vent”. Donc, ils se taisaient. Et, là, je vais parler de moi, qu'on me le pardonne.

J'étais de gauche. Non : d'extrême. J'étais même anarchiste, ce qui était encore plus confortable, plus à gauche de la gauche, plus rien du tout. Être anarchiste a toujours été n'être rien du tout, mais donner des leçons de gauchisme à tout le monde : cool. Donc, comme je me suis finalement foutu de tout, j'étais anarchiste. en plus, ça faisait chier mon père, militaire. Être anarchiste, c'est se payer une petite révolte contre papa, sans qu'il se passe quoi que ce soit de désagréable. Donc, j'étais anarchiste. Je le proclamais. J'étais de gauche (extrême) comme tout le monde alors., pour peu qu'on ait moins de 25 ans. C'est-à-dire que j'étais dans le courant majoritaire – soit un petit con. Semblable à tous les autres. Qui pense qu'il pense, et ne pense justement pas. Du coup, j'ai contribué à faire élire Mitterrand (je vous passe quelques années sans intérêt), et je ne me souviens pas avoir été plus heureux que ce fameux 10 mai 1981 – je ne renie rien : tant pis pour ma gueule.

Maintenant, l'extrême-droite ; la très fameuse, la très horrible. Moi qui ne vote jamais (sauf précisément en 1981...), je ne voterai jamais pour le Front national. Parce que Jean-Marie Le Pen. Parce qu'il est intrinsèquement antisémite, comme le sont ces gauchistes actuels que je déteste, qui se sont vertueusement rebaptisés “antisionistes”, et qui sont les magnifiques héritiers des antisémites du siècle dernier, et même de celui d'avant. Je le redis : je suis furieusement philosémite ; je regrette (d'une certaine manière) de n'être pas juif, de ce peuple magnifique qui, probablement, est réellement le sel de la terre. J'aime Charles Chaplin pour cette réponse qu'il faisait quand on lui demandait s'il était juif : « Je n'ai pas cet honneur. » Je ne l'ai pas non plus, et le regrette.

Par conséquent, tant que Le Pen sera aux commandes, il sera hors de question pour moi de voter pour le Front national. Je fais partie de ces gens qui pensent que Le Pen fait le lit du monde actuel, en servant de repoussoir. J'attends un Geert Wilders français, mais n'en vois aucun se pointer. Marine Le Pen ? Mouais... Faut voir. Je n'y crois pas tellement. Pas l'ombre d'une idée, pas la moindre vision de l'avenir.

Que conclure ? Rien, pour l'instant. Personne ne me donne envie de voter, absolument personne. Je vois trop bien qu'un Sarkozy et un Strauss-Kahn (ou une Aubry, ou une Royal, voire un Mélenchon) sont des copies conformes : liquidateurs de cette France qu'ils détestent et que, moi, je persiste à aimer. En réalité, je pense que nous sommes déjà morts, et j'en appelle à Baudelaire, cette conscience supérieure du XIXe siècle, quand les blogueurs ne connaissent que Hugo, ce flamboyant imbécile qui leur ressemble, au fond. Nous sommes morts. Mais, comme nous agitons encore bras et jambes, ça ne se voit pas trop. Pour l'instant.

Bien courageuse, la Marie-Paule


Dans un article qui vient de passer devant mes yeux clairvoyants et sereins, on apprend qu'en écoutant son nouveau disque on découvrira non seulement une Marie-Paule Belle plus engagée mais en outre son combat contre l'homophobie. Et là, je dis : chapeau bas, Messieurs. Total respect. Car pour lutter contre l'homophobie en 2010, il faut en avoir dans le Wonderbra, tant la chasse aux pédés et le safari gouines font rage dans tous les coins de notre France moisie et frileusement repliée sur elle-même. Surtout quand on a eu le formidable courage de fermer sa gueule et de raser les murs pendant plus de trente ans.

mercredi 6 octobre 2010

Le mont du Vivre-Ensemble : 4807 mètres au garrot

Georges prend plaisir à me torturer. Du moins, il ne veut pas se torturer tout seul, ce que je peux comprendre. D'où la vidéo qu'il met en lien en commentaire du billet précédent, par laquelle on voit ce splendide connard, cachant ses yeux, qui se plaint de ce que les tables d'orientation ne signalent pas davantage les clapiers où vivent ses frères de race que le Mont Blanc. Encore une fois je reprécise : cette pauvre merde a raison de récriminer comme il le fait, puisqu'il trouvera automatiquement des Célestes, mâles et femelles, pour s'agenouiller devant lui, lui demander pardon, lui proposer leur trou du cul en compensation de leur noirceur intrinsèque de blancs, etc. Dans six mois, on rajoutera son clapier dans le paysage, et dans un an ou deux on virera le Mont Blanc, parce qu'il s'appelle "Blanc". Ou bien, il se trouvera un député (de droite comme de gauche : mêmes raclures désormais) pour rebaptiser cette hauteur (bouh ! le vilain mot...) Mont de la Fraternité (par exemple). Et tout sera dit. Je suppose qu'on lancera un concours citoyen, pour déterminer le nouveau nom du Mont Blanc, relayé par Le Monde, Libération, Médiapart (qui se féliciteront à sons de trompe de cette avancée) – et la plupart des blogs les plus atteints idéologiquement, les plus haineux d'eux-mêmes, ceux que l'on trouve dans mon asile personnel.

Pic du métissage, pas mal non plus : de l'allure, du dans-le-vent. Les ravines du vivre-ensemble, aussi, faut voir... Et pourquoi pas le Toit de l'Avenir ? – On viendra de loin, faire du snow-machin sur la mer de glace, rebaptisée la Mère de glisse, pour le fun. Ou alors, parce qu'il aura eu le tort de s'appeler ainsi (Blanc), ce mont-là deviendra le temple le plus haut du fascismo-colonialisme. Rendez-vous compte : 4807 mètres de nauséabonderie blanche, incontestablement blanche ! Le bonheur progressiste en plein air pur.

Et au sommet des remonte-pente, les bonnets rose fluo à sourire mécanique, après l'indispensable et délicieux frisson jean-moulinesque compris dans le forfait, seront priés de s'extasier (il n'y aura d'ailleurs pas besoin de les prier puisqu'ils seront venus pour ça) sur la vue plongeante qui leur sera offerte, regards braqués vers Lyon, non vers la Croix-Rousse ou les Terreaux, mais droit sur ces fières cités soviétoïdes où se mitonne l'avenir de notre pays.

Cool.

mardi 5 octobre 2010

Didier Goux s'engage au nom de l'équité

Las d'assister jour après jour aux tortures que font subir ses locuteurs à la langue française, horrifié de la voir traitée pis qu'une quelconque Fantine par les fils de bourgeois de la ville un soir de Noël, j'ai compris que l'heure de l'engagement militant avait sonné pour moi. Ainsi, à partir de ce jour, ayant constaté que le mot problème avait été banni par son rival omnipotent, souci, j'ai décidé de faire exactement l'inverse afin de tenter de rétablir un semblant d'équilibre. Désormais, je déclamerai Baudelaire ainsi :

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le problème,

tandis que nous cheminerons à travers l'Allemagne, vers le château de Sansproblème, sur les traces du grand Frédéric. Puis nous en reviendrons aux rivages de France, en compagnie du Malherbe :

Beauté, mon beau problème, de qui l'âme incertaine
A, comme l'Océan, son flux et son reflux,
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,

Ou je me vais résoudre à ne le souffrir plus.

Et n'allez pas penser que ce combat est vain. Car un peuple peut sans dommage voir amputer son territoire de quelques provinces. Mais c'est lorsqu'il commence à perdre les mots de sa langue qu'il a vraiment du problème à se faire.

On ne peut pas lui donner tort...


« Mon pire handicap dans la vie aura été de ne pas me donner raison.
Alors qu'en général, j'ai raison. »

François Taillandier, Journal de Marseille, p. 99.

De la relativité de la pluie (et de son chant sur les feuilles du tilleul)

Billet écrit hier soir, 19 h 45

Elle vient tout juste de s'arrêter, cette pluie merveilleuse, alors que je comptais un peu sur elle pour me fournir un semblant d'inspiration – plutôt : un soutien pour l'inspiration née d'elle. Il pleut presque sans interruption depuis la nuit dernière, le ciel est aussi plombé qu'une roulotte de Roms ; et on ne parvient pas à s'en lasser. C'est la saison où les Normands, les Picards, les Lorrains, les imprécis du Val de Loire et les montagneux de l'extrême-sud du Nord – tous les authentiques glébeux de France, en fait – sourient de pitié condescendante en songeant à l'inamovible et stupide soleil des gens du Midi. La pluie du sud n'en est jamais vraiment une, elle reste par là-bas une sorte de langue étrangère. Elle est soit absente soit torrentielle, m'as-tu-vu et dévastatrice. Elle se pousse du col pour faire oublier ses manquements, et elle est incapable de tenue, de retenue, un peu comme les gens qu'elle noie à saison fixe. C'est une pluie affligée d'un accent.

La vraie pluie, la nôtre, la pluie de France, la patiente, épouse nos humeurs, nous modèle sans nous faire de mal réel. Et les gens à ciel bas, au fond, lui sont reconnaissants – plus ou moins, c'est selon. Au moment de l'année où le pays redevient leur nue propriété, ils songent avec un haussement d'épaules à ces malheureux dont les contrées sont bordées de plages, c'est-à-dire par l'enfer, et encore plus ou moins pullulant de leurs occupants attitrés : les touristes. Ils triomphent, fenêtres ouvertes, taiseux par nature, s'emplissant de cette symphonie pointilliste – qui leur a un peu manqué pendant trois mois, ils ont peine à se l'avouer mais c'est vrai. De peu de durée, leur sourire.

Car, au printemps, avril ou mai, et parfois juin, la pluie produit exactement les mêmes sons d'insectes, bruissants, charnels, innombrables, un peu souriants, dans le tilleul planté devant la maison, l'arbre qui défend et accueille. Mais plus personne n'a envie d'ouvrir les fenêtres. Et c'est avec des rictus d'impatience, des grincements d'envie que l'on scrute la carte de la météorologie nationale, qui nous annonce soir après l'autre que “hormis sur le pourtour méditerranéen, la dépression installée au-dessus de... ” Dieu comme on les envie et déteste, alors, ces méditerranéo-pourtouristes, aux extrêmes pointes de mai, tandis que l'implacable pluie d'octobre s'attarde dans les feuilles du mai suivant, et que même le tilleul semble trouver ça très drôle, imbu de son vert pâlot et déjà promis aux chenilles.

lundi 4 octobre 2010

On ne peut pas s'arrêter de peindre

Je n'ai encore lu que 200 des 570 pages que compte La Leçon d'allemand, le roman de Siegfried Lenz que j'ai acheté “sur les conseils” de François Taillandier. Mais, déjà, commence à se dégager la polyphonie des thèmes, l'un d'eux apparaissant de manière plus nette que les autres, au stade où j'en suis de ma lecture. Il pourrait s'intituler : la naissance de l'écrivain, ou quelque chose d'approchant.

Le point de départ du roman est à lui seul une idée lumineuse : un élève d'un centre de redressement, dans l'Allemagne du Nord de l'après-guerre, Siggi Jepsen, est puni parce qu'il a rendu copie blanche à l'issue de la rédaction d'allemand imposée, dont le thème était : Les joies du devoir. Copie rendue blanche non parce qu'il n'avait rien à dire, mais parce que, au contraire, trop de choses, soudain, demandaient à être dites, ramenées à la surface et expressément consignées. Car, au début du temps imparti aux élèves, Jepsen avait choisi de parler de son père. Lequel, petit policier de campagne durant le IIIe Reich, avait été à ce titre chargé d'annoncer au grand peintre vivant dans sa juridiction (et inspiré par Emil Nolde) qu'il était désormais interdit de peinture, et surtout de veiller à ce que cet ordre soit suivi d'effet : tel était son devoir.

Tout manquement méritant punition, Siggi, pour sa copie blanche, s'en voit infliger une : il sera enfermé dans une pièce, où il dormira et sera nourri, sans plus de contact avec ses condisciples – et il y restera tant qu'il n'aura pas mené à bien sa rédaction, pour laquelle on lui fournit cahiers, encre et plumes. Et c'est alors qu'il entreprend la rédaction du livre que nous tenons entre les mains.

Au bout de cent cinq jours (105 !), le directeur du centre, secondé par une armée de psychologues à la fois terrifiants et cocasses, décide de lever la punition, annonçant au jeune Siggi que tout va bien, qu'il a dû comprendre la leçon, qu'on est très content de lui., mais qu'il faudrait voir à mettre un terme à une situation qui devient embarrassante pour tout le monde. C'est alors que l'adolescent se dresse contre cette décision et exige littéralement que sa punition soit prorogée tant qu'il n'aura pas mené à son terme sa “rédaction”. Ce qui lui est finalement accordé. Voilà où j'en suis arrêté.

Siggi Jepsen est devenu écrivain en acceptant la punition, ou plutôt en la faisant sienne. Juste après cet épisode, il se voit proposer un plan d'évasion par trois de ses camarades : il refuse de les suivre pour retourner se faire enfermer dans sa chambre-cellule. Entre une évasion ne débouchant sur rien de précis, sauf de vagues rêveries d'adolescents, et une claustration lui permettant de ressaisir tout le passé, de l'ordonner, de le mettre en lumière, il n'a que très peu hésité, et sa réponse a été ferme, malgré l'incompréhension méprisante qu'elle suscite chez le camarade qui lui a proposé l'évasion.

Lorsque, dans la première partie du roman (située en 1943), le policier, père de Siggi, annonce au peintre qu'il doit cesser toute activité picturale à compter de maintenant, l'artiste l'avertit catégoriquement : « On ne peut pas s'arrêter de peindre. » De même, ayant commencé, Siggi ne peut non plus s'arrêter d'écrire – et tous deux le font et feront au prix d'un enfermement. Mais je suis obligé de m'arrêter là, puisque là aussi s'est arrêtée ma lecture.

Tout de même, encore ceci : Siggi a un frère aîné, absent au début du roman. Klaas s'est volontairement mutilé pour échapper au front, et il a été incarcéré dans une prison-hôpital des environs de Hambourg. Il s'en évade et vient demander à son jeune frère de le cacher. Celui-ci l'enferme dans un moulin désaffecté dont il s'était fait pour lui-même un refuge. Mais Klaas, qui est incapable de dire pourquoi il s'est échappé de son hôpital, ne supporte pas cette claustration pourtant passagère et bienveillante. En moins de vingt-quatre heures de solitude, à attendre le retour de Siggi, il parvient au bord de la folie. Le parallèle s'esquisse donc, entre l'enfermement consenti, assumé, revendiqué même, et l'évasion sans but, qui n'est qu'une fuite en avant vers... Vers quoi ? Vers le moulin lugubre pour Klaas et vers les dangereuses eaux de l'Elbe en crue pour les trois camarades de Siggi.

Qui est libre ? Qui erre ? La littérature (l'art en général) est-elle une punition ? Et doit-elle être acceptée pour se muer en une liberté supérieure ? Les questions sont bel et bien posées, me semble-t-il (et dans une langue superbe, onduleuse, colorée – une écriture de peintre, et de peintre tout de miroitements et de lumière). Et il me faut bien, pour le moment, m'interrompre ici.