vendredi 31 décembre 2010

On s'en paie une tranche grâce à Dame Tartine


Le camarade Corto, en bon militant socialiste qu'il est (air de la calomnie, en fond…), nous rappelle opportunément que 2011 va être l'année de l'une des plus belles rigolades politiques que l'on puisse imaginer : les primaires socialistes. Et, dans la foulée de son enthousiasme, il nous en détaille les modalités. L'affaire est suffisamment importante pour que je relaie ici. Ce qui est important, c'est que tout électeur inscrit aura le droit de participer à la pantalonnade, après avoir rempli un petit papier de sa belle main, par lequel il affirmera sur l'honneur être béat d'admiration pour les idées socialistes et sanglotant de gratitude à la simple évocation du programme du parti. Ensuite, il n'aura plus qu'à glisser son petit bulletin dans la petite urne. Et c'est là que le spectacle commence.

Les gens qui verraient sans déplaisir le PS se ridiculiser doivent représenter environ 70 % de l'électorat, de l'extrême-droite à l'extrême-gauche, en passant par les Verts qui ne sont nulle part et entendent y demeurer. C'est à tous ceux-là que je lance à nouveau un appel solennel et tonitruant : nous devons, tous, absolument participer à ce vote-pour-rire, en prenant soin de faire porter notre choix sur le plus saugrenu, le plus échevelé, bref, pour dire les choses sans affèterie : le plus dément parmi ceux qui brigueront nos suffrages – et, bien entendu, en écartant impitoyablement les “ténors” autoproclamés. Pas une voix ne doit manquer à Guignol. Ensuite, il n'y aura plus qu'à attendre le dépouillement, que l'on suivra avec gourmandise.

De plus, pour le même prix modique, nous aurons eu, en remplissant notre déclaration de sympathie pour les idées socialistes (ah ! la splendide aporie que voilà !), le plaisir suprêmement raffiné et rare de nous faire du même coup félons et parjures : ça ne se refuse pas.

jeudi 30 décembre 2010

Nous n'irons plus à Avallon


Et pourquoi diable les Avallonnais, au fallacieux prétexte qu'ils ne sont que sept mille, n'auraient-ils pas droit à une belle mosquée rien que pour eux, comme leurs camarades des grandes villes ? Eh bien le fait est, pourtant, que jusqu'à maintenant ces infortunés Bourguignons étaient contraints de s'en passer ! Honte sur nous… Mais, grâce à la bonne volonté collaboratrice du maire PS de cette charmante cité médiévale, le scandale est fort heureusement en passe d'être effacé.


(Sinon, oui, je vous remercie : j'ai bien pris mes comprimés.)

mercredi 29 décembre 2010

Mon Dieu, pourquoi tant de cruelles havanies ?


Faites l'expérience vous-mêmes, si vous ne me croyez pas. Annoncez sur votre blog, ou au café, à la cantine d'entreprise, chez vos amis bobos voire dans le clandé de Lulu la Nantaise, annoncez disais-je que vous venez d'arrêter de fumer. Aussitôt, vous allez voir sortir de terre, tels des zombis romériens, une moisson de commentateurs et d'interlocutrices, tous anciens fumeurs bien entendu, qui vont avoir à cœur de vous soutenir le moral et vous raffermir dans votre résolution. Comprenez qu'en pratique il ne leur faudra pas quarante-huit heures pour vous cisailler la volonté et vous précipiter dans la première tabagie venue.

Ce que vous souhaitiez, vous, en faisant votre coming out, c'était que survienne un bon gars, une brave fille, qui vous tienne à peu près ce langage : « Félicitations ! Tu vas voir, ça se fait quasiment tout seul. Moi, j'ai arrêté il y a quatre ans. Eh bien, je peux te dire qu'au bout de trois semaines je n'y pensais déjà plus. Et après trois mois, je n'étais plus sûr du tout d'avoir déjà fumé. Dingue, je te dis ! Je t'envie presque d'en être seulement au début et d'avoir encore devant toi toute cette merveilleuse délivrance... » Vous pouviez toujours rêver.

Au lieu de ce charmant compagnon des jours gris, vous allez attirer celui qui se fera un devoir de vous expliquer comment il a failli devenir fou de frustration, cet autre qui s'est brouillé à mort avec tous ses amis demeurés fumeurs, un troisième qui vous dressera un portrait fort pittoresque du légume trémulant que vous vous apprêtez à devenir, sans compter tous ceux qui vous déclareront doctement qu'après un an de tortures inimaginables ils ont fini par replonger, “parce que c'est la seule issue possible, à part la défenestration ou la corde”. Et si malgré tout vous espérez vous raccrocher à un qui n'a pas craqué, celui-là vous révélera, avec une sorte de fierté malsaine, qu'après huit ans de sevrage il éclate encore en sanglots tous les matins à l'idée d'avoir à traverser une nouvelle journée semblable aux précédentes.

Le plus étrange est que tous ces témoignages apocalyptiques mis bout à bout produiront bientôt un effet comique d'une incroyable puissance de feu, lequel vous confortera dans votre résolution hygiéniste et vous donnera une chance de mener le petit au bout.


Mon conseil en plus, comme on dit à la télé : ne perdez jamais une occasion de vous vanter de votre sevrage auprès des médicastres que vous pouvez être amenés à fréquenter, afin de recueillir leurs félicitations, mécaniques mais toujours bonnes à prendre. C'est ce que je comptais faire à midi, mais je me suis rendu compte juste à temps que, de tous les spécialistes diplômés par la faculté, l'oculiste (ophtalmo, en langage modernœud) était sans doute le seul à se moquer absolument que vous fumiez ou non. Avec peut-être le podologue, lequel n'est même pas médecin – ce con.

mardi 28 décembre 2010

La cartouche fumigène et le fût à bière : anatomie d'un calvaire

Écrire un billet, écrire un billet… Vous êtes drôles, vous. Et pour dire quoi ? Raconter quelle anecdote passionnante ? Vous avez déjà essayé, mes bons apôtres, de remplacer, simultanément ou presque, les alcools les plus massifs par l'eau du robinet, et les volutes gitanes par l'air ambiant ? Eh bien, tentez donc l'expérience, et on verra si vous avez encore assez de cœur au ventre pour venir faire le guignol sur votre blog !

Côté biberon, encore, on pourrait s'arranger : aucun manque n'est à signaler, pas de tremblures intempestives ni d'énervements incontrôlables – juste une difficulté à l'allumage pour ce qui concerne l'inspiration jaillissante. Évidemment, on pourra toujours me rétorquer que l'inspiration est parfaitement inutile en l'espèce, et que la plupart des blogs en sont d'ailleurs la plus flagrante des preuves…

Par contre, pour ce qui est des champs fumigènes, alors pardon ! Là, il y a belle et bien mobilisation totale et sauvage de l'appareil neuronal, lequel semble baigner du matin au soir dans une fumée absente, clapoter dans des goudrons introuvables, et se montre incapable de fournir le moindre travail productif raisonnable. La catatonie cotonneuse et l'hébétude critique atteignent de tels seuils que j'en viens à envisager la possibilité – notamment au réveil, lorsque le jour hésite à poindre – d'avoir brutalement mué pour me retrouver emprisonné dans le crâne d'un militant socialiste, sans possibilité d'en ressortir autrement que par la cartouche de Camel et le fût à bière.

Comment voudriez-vous, dans ces conditions extrêmes, ushuaïennes, que je réussisse en plus à faire tourner la planche à billets ? Soyez humains, merde !

samedi 25 décembre 2010

Selon que vous serez pédé ou catholique...


Il y a quelques jours, on s'est bruyamment réjoui çà et là de ce que les États-Unis venaient d'abandonner la doctrine du Don't ask, don't tell ; les homosexuels de chez nous par réflexe corporatiste, suppose-t-on, et Modernœud à leur suite, parce qu'il est dans sa nature de s'esbaudir dès qu'il croit renifler une avancée sociétale – tout cela non sans écrire quelques approximations et sottises au passage, tel l'ami Corto pour qui « Cette loi autorisait l'armée à virer manu militari tout militaire dont l'homosexualité viendrait à être découverte ». Non : l'armée américaine a évidemment toujours eu ce pouvoir de renvoyer de ses rangs les homosexuels qu'elle y découvrait, pour la simple raison qu'ils y étaient interdits. La nouvelle règle de 1993, voulue par Bill Clinton, était en réalité une atténuation, un “moins discriminant”, puisqu'elle autorisait de facto les homosexuels à intégrer l'armée américaine. Il suffisait pour cela que les recruteurs cessent de s'intéresser à leur orientation sexuelle (Don't ask) et que les recrues de leur côté de fassent pas étalage de leurs pratiques (Don't tell). Ni ne s'enculent sur la place d'Armes pendant la montée des couleurs.

Cette obligation de réserve n'a jamais été acceptée par les homosexuels américains, ce qu'on peut parfaitement comprendre, et ils l'ont fait bruyamment savoir. À peine moins bruyants mais avec des raisons moins évidentes de s'indigner, n'ayant aucune chance d'intégrer l'armée américaine, les homos européens ont ajouté leurs voix au concert, inévitablement rejoints pour finir par l'arrière-ban des modernœuds, lesquels n'ont jamais besoin de raison particulière pour brailler dans le sens du vent. Et l'infamant D.A.D.T. a finalement été aboli, les militaires gays américains n'auront plus à cacher leurs tendances pour pouvoir torturer de l'Irakien rétif, les voilà débarrassés de cet humiliant silence qu'on leur imposait, de cette obligation de descendre aux catacombes pour pratiquer leur culte.

Pendant ce temps, on va répétant chez les laïcards – notamment à propos de quelques dizaines de culs levés sur le macadam de la rue Myrha – que la religion doit rester une affaire strictement privée, qu'elle ne saurait en aucun cas se donner à voir dans l'espace public, et encore moins y prosélyter bien entendu – bref, que les croyants ont le droit d'exister, qu'ils ne seront pas persécutés (enfin, pas chez nous en tout cas...) en raison de leur foi, mais que s'il ne veulent pas tâter du gourdin ils feraient mieux de rejoindre les catacombes que les pédés galonnés du Middle West viennent tout juste de laisser vacantes. Et c'est ainsi que les religieux sont sommés de se contenter – transparence et mutisme – de ce qui était jusqu'à hier considéré comme odieusement humiliant par les homosexuels, et dont ils se sont à juste titre désassujettis.

En ce qui concerne la religion, du reste, le don't ask est chez nous en vigueur depuis plus d'un siècle – à l'exception de l'Alsace concordataire, que les laïcoïdes aimeraient bien ramener sous le joug commun aussi vite que possible. Mais pour le don't tell, c'est beaucoup plus récent. Et il est assez piquant de constater que l'injonction s'adresse principalement à ceux-là qui se taisent déjà, et non à ceux-ci qui brandissent, à tout bout de discours et de tribunes, leur croyance comme un fer à empaler.

vendredi 24 décembre 2010

jeudi 23 décembre 2010

La rue arabe : ce que savait Cassandre

Le texte de Cassandre que je reproduis ici fait partie d'une discussion qui se déroule ailleurs. Le voici :

« Du moment que nous ne leur posons pas de bombes, que nous n'obligeons pas leurs femmes à porter le tchador ou la burka ni à rester cloîtrées chez elles, que nous ne les obligeons pas à ne pas boire d'alcool ni à ne pas manger de porc, où est le problème ? Pourquoi ne nous laisserait-on pas vivre à notre guise ? »

Cette opinion qu'on devine répandue chez les musulmans est sans doute partagée par un certain nombre de nos compatriotes, même si ce nombre va en diminuant. C'est que les uns et les autres ne connaissent pas ce qui les attend : la rue arabe.

En Occident, et tout particulièrement en France, la rue citadine a toujours été un lieu d'étonnements et de découvertes, un lieu de plaisir et de spectacle, un lieu d'échanges et de mélanges où hommes et femmes, jeunes et vieux, riches et pauvres, compatriotes et étrangers, sont heureux de se côtoyer et le font paisiblement ; bref, un lieu civilisateur par excellence. La rue arabe, hormis aux heures de marché, et dans certains hauts lieux du commerce, est tout le contraire : un désert, un désert d'hommes (que les messieurs du forum m'excusent). Un désert d'hommes ou ceux-ci ne semblent être là que pour patrouiller, imposer une sorte de sinistre couvre-feu, comme si le pays était en guerre. Et de fait il l'est, en guerre : contre tout ce qui est “autre”, différent, nouveau. Dans la ville, dans la rue arabe soumise à cette sorte d'étrange couvre-feu, la femme, l'étranger, le non musulman, le handicapé sont au mieux des intrus tolérés, au pire des coupables, coupables de ne pas être homme, de ne pas être musulman, de ne pas être fort, et comme tous les coupables, ils ne s'aventurent à l'extérieur qu'à leurs risques et périls, en rasant les murs et, pour les femmes, cachées sous leur voile. Quant aux patrouilleurs, faute d'avoir, pour délier la langue et l'esprit, un peu de vin et de cet autre alcool inconnu en terre musulmane : la liberté de penser, ainsi que le droit au flirt avec l'un ou l'autre sexe, ils n'ont rien à se dire, rien à échanger, que des rodomontades, le plus souvent sexuelles, précisément, rien sur quoi s'exciter en dehors des injustices prétendument subies par les musulmans à travers le monde, et seule la traque de la moindre transgression à l'ordre islamique établi les tire de leur léthargie. La rue arabe, à l'image de l'islam, n'est pas un lieu d'échanges civilisateurs mais un lieu de rapports de forces insidieux, permanents et mortifères où les très jeunes mâles aiguisent leur virilité et trompent leur ennui en démolissant ce qui peut être démoli et en insultant tous ceux et celles qui peuvent être insultés sous le regard indifférent des adultes.

Bien sûr ils ne se font jamais prendre la main dans le sac. Ils ne mettent pas d'écriteaux de mise en garde menaçante dans les rues, ni ne s'imposent avec des armes. Alors, que leur reprocherait-on ? s'inquiètent-ils la main sur le cœur. Les intolérants c'est nous, pas eux ! En attendant, c'est un des aspects les plus aimables de notre civilisation qui risque de disparaître. Et le plus fort, c'est que la jeunesse maghrébine quitte ses pays d'origine pour fuir, entre autres, ce monument d'ennui qu'est la rue arabe, dans laquelle ils vont finir par se retrouver aussi, chez nous, sans y avoir pris garde, sans avoir eux-même rien compris ni vu venir !

On me dira qu'il s'agit d'un archétype qu'on ne trouve pas forcément dans tout le monde arabe ; mais tout le monde arabe, ou presque, tend vers cet archétype.

mardi 21 décembre 2010

dimanche 19 décembre 2010

Pro-té-gez nos CRS !

Que se passe-t-il lorsque de braves Compagnies républicaines de sécurité, ne demandant qu'à gentiment cultiver le vivre-ensemble, se font faire des misères par la racaille qui tient le quartier (populaire, le quartier, forcément populaire...) où elles sont en villégiature ? Eh bien le syndicat représentant nos braves Compagnies républicaines de sécurité exige fièrement qu'on les change de chambrées. Qu'on leur accorde de plus gentils camarades. Et il l'obtient. C'est que c'est fragile, une Compagnie républicaine de sécurité, ça s'abîme comme un rien.

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samedi 18 décembre 2010

On se recouche jusqu'en avril

Hier après-midi, cependant que je télé-travaillais benoîtement dans La Case, L'Irremplaçable s'est mise en tête d'aller faire quelques courses à Vernon – que des denrées de première nécessité : eau de Cologne, pyjamas neufs, des os pour les chiens...

La neige a commencé à tomber à gros flocons à sa sortie du Monoprix. Elle a pu grimper sans trop d'encombres la côte qui permet de s'extraire de la vallée de la Seine, puis traverser le plateau et redescendre de l'autre côté, dans la vallée de l'Eure. C'est lorsqu'il lui a fallu – à elle et à quelques autres – remonter de l'autre côté que les choses se sont gâtées. Au point qu'elle a bien dû se résoudre à abandonner la voiture sur le bas-côté pour couvrir à pied les trois kilomètres qui restaient jusqu'à la maison.

Et, bien entendu, ce matin, après un appel téléphonique et renseignatoire à la gendarmerie de Pacy, nous avons reparcouru cette même distance dans l'autre sens afin de récupérer Roselyne qui, depuis une quinzaine d'heures, se frigorifiait les ovaires non loin de la déchetterie.

Nous voilà revenus à bon port, la neige s'est remise à tomber, les chiens ont leurs nonosses, nous du pain frais et de quoi fumer. L'hibernation se profile.

vendredi 17 décembre 2010

Les chardonnerets, quand y en a un ça va...

Le chardonneret, c'est mon marronnier à moi, moins ombreux en été mais beaucoup plus gai en hiver : j'en fais un billet chaque année, sans désemparer ni mollir. Il y a bien quatre ou cinq ans que l'on a vu apparaître les deux premiers, vers la fin de la saison, venus casser une petite graine dans la mangeoire commune, afin d'établir la soudure avec le printemps qui s'annonçait. Depuis, ayant compris l'aubaine, ils rappliquent de plus en plus tôt, et chaque année plus nombreux. En 2009, l'Irremplaçable et moi en avions, un jour, compté jusqu'à sept (c'est difficile, de compter des chardonnerets : ces petits imbéciles bougent tout le temps).

Eh bien, le record est largement battu puisque, voilà deux jours, ils étaient onze en même temps, qui dans la mangeoire, qui au pied de l'arbre à picorer ce que font tomber les autres. On a recompté pour être bien certain ; pas d'erreur : onze. À ce rythme-là, encore quelques années et on va pouvoir se confectionner des manteaux en poil de chardonneret, tellement plus chaud et souple que l'écaille de tortue ou l'écume de mer.

Dans mes poubelles de cinéma : Fellini

Alors, lui, j'ai essayé vingt fois ou plus, durant les trente années qui viennent de s'écouler – et encore hier soir. Ginger et Fred, pour Mastroianni, j'ai ressayé, je le jure. Impossible. Je n'ai même pas tenu jusqu'au moment où Marcello arrive dans le film, c'est assez dire.

Je déteste Fellini. Non, même pas : il m'emmerde. Profondément. Il m'a toujours emmerdé, et les vingt minutes que je lui ai encore accordées ont pesé leur poids de plomb, de fausse gaudriole, de délire pachydermique. Les acteurs pèsent des tonnes chez Fellini, les trognes sont trop choisies, les chorégraphies pesamment improvisées, le faux ravissement dans les regards, de se retrouver sous la caméra d'un tel génie, tout cela m'endort et m'énerve à la fois. Je ne connais pas de plus faux génie que Fellini, de plus lourde légèreté appliquée, de cinéma plus dénué de grâce que le sien. Rien que de parler de Fellini me donne envie de distribuer des gifles à tout ce qui s'agite devant une caméra.

Il n'est pas le seul, notez. Des Woody Allen, des Tarantino, des Almodòvar (et je dois bien en oublier deux ou trois) sont aussi surestimés aujourd'hui qu'il le fut naguère. Mais Fellini est l'archétype de l'imposteur, le membre fondateur de ce club des nuls encensés.

Il est parfaitement inutile de venir emplir la boîte à commentaires de plaidoyers en défense de cet Italien boursouflé : je ne vous répondrai pas, et vous dégringoleriez des trois barreaux que vous aviez su par ailleurs grimper sur l'échelle de mon estime.

D'autant qu'il se peut que je me trompe du tout au tout, et que votre Fellini soit en effet un génie. Eh bien, je vais vous dire : ma détestation est telle que, si c'était le cas, je préférerais passer pour un con dans les siècles des siècles que de laisser varier d'un pouce mes présupposés le concernant.

jeudi 16 décembre 2010

La Clef de certains songes, avec porte ouverte sur la mort (notes rapides)

Un homme et une femme. Deux époux. (Un gars, une fille, si l'on veut adopter le langage contemporain et renoncer à comprendre quoi que ce soit au monde.) Lui a 56 ans, elle 45 – mariés depuis 20 ans, une fille unique. Chacun tient un journal, dans lequel il ne parle que de la vie sexuelle conjugale. Les deux cachent ce témoignage en pensant (espérant ?) que l'autre le découvrira – et en effet l'autre le découvre. Chacun prétend dans son journal qu'il ne lit pas le journal de l'autre, mais chacun est persuadé que l'autre lit son propre journal. Jeu de miroirs multiples, entraînant des réfractions, des éclats de vérité. Réfraction première : l'introduction de l'homme tiers, aussi important pour le mari que pour l'épouse (mais n'existant qu'à peine en lui-même), cristallisation et sur-multiplication d'une angoisse érotique diffuse : on pense à Dostoïevski, pour ce tiers envahissant, à René Girard bien entendu, mais aussi (davantage en arrière-plan, peut-être) à Georges Bataille, en raison de cette profonde inquiétude sexuelle qui innerve tout le roman, inséparable de la mort (Histoire de l'œil, mais pas seulement, je fais très vite – Madame Edwarda aussi), la provoquant, la défiant, l'appelant. Sexualité se nourrissant d'elle-même. Apparition du fétichisme. Non, pas fétichisme : fragmentation. Le mot important, pour ce roman est : fragmentation. Comme le jeu de miroirs dont je parlais fait éclater les images, il les grossit également. Le mari photographie sa femme, qu'il n'a jamais vue entièrement nue en vingt années de mariage, jamais. L'appareil-photo (fourni par l'homme-tiers) lui permet non seulement de la voir enfin, mais de la découper : les seins, le cul, le sexe – et ses pieds dont il est si friand. (J'avais prévu, ici, de recopier un passage extraordinaire, mais le livre est resté dans le salon…)

L'épouse, elle, pendant que son mari la diffracte, se rassemble, paraît prendre possession d'elle-même et de ses désirs, se libérer (le mot n'est jamais dit, évidemment : on parle de littérature, pas de tract politique), mais d'une façon qui se retourne aussi contre elle, sans cesse. Et qui n'est jamais tout à fait assumée. Parce qu'il y a l'importance de l'alcool, de ce cognac Courvoisier que les protagonistes sont contraints d'ingurgiter pour accepter ce qui leur arrive, et même le rendre possible. Et qui les détruit. De manière médicale, précisément médicale (il est question de symptômes, de pression artérielle, d'arythmie cardiaque, de médicaments dont les noms sont cités – et ce sont même les seules incursions de la vie réelle dans cette histoire).

Il faudrait relire ce roman-là en même temps que Les Belles Endormies de Kawabata ; parce qu'il y a des thèmes communs, et en premier lieu celui de l'endormissement qui libère (les pulsions, les forces de la chair), mais aussi celui de la vieillesse impuissante qui se contemple et refuse de renoncer. Chez Kawabata, le sommeil livre la femme à l'homme. Chez Tanizaki, il lui permet, à elle, de prendre le pouvoir sur lui. Chez Kawabata, la léthargie semble vouloir et pouvoir prolonger non pas la virilité mais son souvenir ; chez Tanizaki, elle offre à l'homme un douloureux et dernier feu d'artifices.


(Junichiro Tanizaki, La Clef – Confession impudique, Folio.)

mardi 14 décembre 2010

Comment je n'ai pas lu certains de ces livres

Que faire lorsque vous arrivez à la fin d'un chapitre, que le moment de passer à table n'est pas encore venu, mais qu'il est néanmoins trop proche pour espérer lire en son entier le chapitre suivant ? Une solution palliative consiste à se rendre en fin de volume et à parcourir cette liste qui s'intitule fréquemment Déjà parus, ou encore Dans la même collection. Et de rêvasser sur les titres qu'elle propose.

A-t-on jamais lu Louis Dumont, par exemple ? Non, bien entendu. Mais soudain, son Groupes de filiation et alliance de mariage donne très envie de l'être, lu. Si l'on se sentait capable de bouger du fauteuil, on irait même le commander tout de suite ; rien ne semble plus urgent et désirable que de tout savoir sur ces groupes et cette mystérieuse alliance. Mais cette envie a déjà été bousculée par celle de se placer Sous l'invocation de saint Jérôme en compagnie de Valery Larbaud (sans accent sur le “e”, je vous prie). Par contre vous négligerez avec un certain dédain ce qui se nomme De l'individualisme révolutionnaire – désolé pour Alain Jouffroy. Mais qui pourrait ne pas avoir le brûlant désir de se précipiter vers le Dionysos mis à mort du très discret Marcel Detienne ? Sûrement pas vous, en tout cas. C'est même de première urgence, et tant pis pour Friedrich List, dont le Système national d'économie politique devra attendre un peu.

Soudain, au détour d'une allée de cette bibliothèque très modestement babélienne, vous débouchez dans un salon familier : c'est Philippe Muray qui propose sans se pousser du col trois de ses livres ; comme vous les connaissez déjà bien, l'auteur et ses ouvrages, vous vous contentez d'un petit signe de tête accompagné d'un sourire, et vous allez faire craquer le vieux plancher un peu plus avant. Parce que, tout de même, il y a l'appel discret d'Alexandre Kojève et de son Athéisme, celui un peu plus ronflant et satisfait de Mario Praz, dont s'étalent sur deux lignes, pas moins, La chair, la mort et le diable dans la littérature du XIXe siècle, sous L'œil vivant de Jean Starobinski, dont vous évitez le regard, pas plus fier pour cela. Le Balzac d'Alain vous rassérènera plus ou moins, au rayon suivant.

Mais d'un coup la bibliothèque s'efface, ses kilomètres de savoir et de trompe-l'œil se dissolvent, les murs s'abattent et vous vous retrouvez dans votre propre salon (la bonne odeur vous informe que le dîner n'est plus très loin, maintenant). C'est que vous venez de tomber sur le Cours familier de philosophie politique de Pierre Manent, qui est le livre même que vous tenez entre les mains et dont vous avez repoussé le chapitre VII à plus tard. Naturellement, vous profitez de ce retour inopiné pour ne plus bouger, vous contentant d'écouter les cliquetis de couverts qui s'arrangent et s'alignent sur la nappe de la pièce voisine. Le Napoléon de Jacques Bainville et le Chateaubriand de Marc Fumaroli sauront bien vous attendre jusqu'à demain, ayant sans doute des choses à se dire, de petites querelles à vider. Mais tout de même, passant finalement à table, vous conserverez un moment le regret de ce livre sans nom d'auteur et dont le titre étrange, Midrash Rabba sur Ruth, parfumera d'épices colorées les premières bouchées de votre repas.

lundi 13 décembre 2010

La vérité, mais à quel titre ?

La question des règles typographiques présidant aux titres d'œuvres, et en particulier lorsque ces titres commencent par l'article défini, est de celles qui ont tendance à irriter et à décourager – tantôt l'un, tantôt l'autre ; souvent les deux –, à force de complications byzantines. Même les utilisateurs opiniâtres et consciencieux finissent par se sentir des envies de jeter d'éponge, lorsqu'ils consultent les sites internet dédiés à cette question et constatent que la guerre fait rage au sein même des diverses académies. La tentation est grande alors de se replier sur ses minima, comme disait Barrès à propos de tout autre chose, et d'adopter la procédure simplifiée à l'extrême qui consiste à placer une majuscule au premier mot du titre quel qu'il soit et à en priver tous les autres, sauf bien sûr s'il s'agit de noms propres. Comme beaucoup de tentations simplificatrices, il convient de ne pas céder trop vite à celle-ci. Car, ce faisant, on risque d'effacer certaines nuances mises là par l'auteur, de perdre du sens.

Prenons le cas du roman de Kawabata dont le titre est fait de ces trois mots : les-belles-endormies. On voit bien qu'il est composé d'un article défini suivi de deux adjectifs, dont l'un substantivé. Oui, mais lequel ? Seule la typographie (ou la lecture du roman, bien entendu) est à même de nous le dire. Le titre : Les belles endormies resterait tout à fait muet à ce sujet et, sans doute plus ennuyant, d'une neutralité triste. Si l'on écrit : Les Belles endormies, le lecteur rompu à la règle en déduira que l'on va lui parler de femmes dont la beauté est la principale caractéristique, et qui se trouvent par surcroît, de manière peut-être plus anecdotique, être plongées dans le sommeil. Or, bien entendu, ce n'est pas cela que Kawabata a écrit, c'est même l'inverse : ses jeunes filles n'ont leur place dans son histoire que parce qu'elles sont endormies, et c'est cet adjectif-là qui se fait donc substantif. Si elles sont belles – et elles le sont à des degrés très variables, et même la beauté de chacune d'elle est très changeante selon les heures et les angles –, c'est en plus. Le vrai titre doit donc être : Les Belles Endormies, avec majuscule initiale à chacun des trois mots.

Sinon, c'est la pagaille.

dimanche 12 décembre 2010

L'amusante rhétorique du camarade CSP

Le camarade CSP, qui semble se prénommer Thierry dans le civil, est obsédé par les étrangers basanés. Par les hordes fascistes qui s'apprêtent à déferler sur la France, aussi, mais ça c'est normal, c'est son fond de commerce de petit besanceniste appliqué. Pour les étrangers, c'est un peu plus surprenant, mais enfin chacun ses obsessions, et je serais mal venu, sur ce sujet, de lui jeter la pierre. Ce qui est surtout amusant, ce sont les contorsions auxquelles il se sent obligé pour aborder le thème. Son billet de vendredi commençait ainsi :

Hier soir, j'ai pris le métro. Oui, je sais : il m'arrive des choses exceptionnelles, parfois. Pour aller voir Mamour qui vit dans un "quartier sensible", on dit comme ça je crois. À la quasi-fin de la ligne, je me suis rendu compte que j'étais le seul Blanc dans toute la rame. Et là, je me suis dis in petto...

Je vous laisse aller lire la suite si ça vous chante. Pour résumer très brièvement, s'ensuivait un exercice assez piteux (il arrive au camarade d'être bien meilleur, dans ce registre) où il feignait de se mettre dans la peau d'un gros-beauf-facho-raciste-etc. crevant de trouille devant tous ces “bougnoules” et ces “nègres” (les termes sont de CSP lui-même, comme on peut aller vérifier : il les aime beaucoup et les emploie souvent) et s'imaginant qu'il est en train de vivre la fin du monde occidental. Et le billet se concluait comme suit :

Bon, non, évidemment. Je ne me suis pas dit ça. J'ai un cerveau en étant de marche, moi. Je me suis contenté de constater que ah oui, tiens, je suis le seul Blanc dans la rame. Et c'est tout, il ne s'est rien passé d'autre. Comme les 364 autres jours où ça m'arrive, quoi. Et après, j'ai continué d'écouter Nine Inch Nails sur le MP3. Tout de même, on dirait pas, mais il se passe de drôles de choses, dans certaines cervelles, parfois...

Donc, il ne s'est pas dit ça, notre camarade. On est tenu de croire qu'il ne se l'est pas dit. Sauf que, pour l'écrire en rentrant chez lui, il a bien fallu peu ou prou qu'il se le dise tout de même. Il a au moins été nécessaire qu'il remarque cette incongruité : que l'on peut se trouver être le seul blanc dans une rame du métro toulousain ; que c'est même devenu une banalité de la vie quotidienne. Qu'il la remarque et qu'elle le frappe suffisamment pour qu'il éprouve le besoin de la chasser de sa tête, parce que c'est mal de voir la réalité, en la faisant endosser sous forme de caricature assez poussive au facho fantasmé qui lui sert de monstre-étalon à toute heure du jour et, on l'imagine, surtout de la nuit. Ce billet, c'est une sorte de On purge bébé, dans lequel Feydeau cède la place à Fedayin – ne demeure que le vaudeville. On les perçoit à peu près, les réflexions qui se sont formées dans ce cerveau à peine moins bodybuildé que l'enveloppe chargée de le promener dans les quartiers “sensibles” ; on la voit assez bien, l'espèce d'auto-exorcisme qui s'est jouée là, entre les stations Capitole et Bamako. Expulsion violente du démon, lequel a bien dû se défendre un moment, d'où le recours aux purgatifs les plus musclés, tels que “nègres” et “bougnoules”, ces mots dont CSP se pourlèche plus souvent qu'à son tour, mais toujours bien entendu sous forme de fascisto-citation, si je puis dire.

En fait, ce qu'on entend le plus clairement résonner, dans ce billet, c'est la chansonnette que se fredonne le petit Thierry pour y trouver le courage de considérer tout ce qui lui arrive comme parfaitement naturel. Courage, mon Thierry : Mamour est au bout de la ligne. Bientôt, tout cela ne sera plus qu'un mauvais rêve…

samedi 11 décembre 2010

Le repas de Noël ? Personne n'a hâte...

Déjà, essayez donc d'imaginer un réveillon arrosé d'eau minérale (ou du robinet : à ce niveau de tristesse, les différences s'estompent) ; aucune personne normalement constituée n'a envie d'être confrontée à une semblable épreuve, à cette immense plage de temps morne. Mais on peut encore raffiner le supplice.

Ainsi, il y a quelques jours, l'Irremplaçable a trouvé de quel plat nouveau elle allait agrémenter nos aqueuses festoyances, dont elle a malencontreusement découvert la recette sur je ne sais quel blog asilaire : le foie gras cuit au lave-vaisselle. Vous ne me croyez pas ? Allez-y voir, je vous attends…

Alors ? Convaincus ? On n'est même plus dans le limite-fout-la-trouille, là, mais carrément dans le gastrogorenomique, non ? Je suppose qu'à la fin du repas, pour rester dans la tonalité bizarre, on va nous convier à passer nos assiettes au four à pyrolyse afin de leur rendre l'éclat du propre.

Encore, afin de vous ménager, n'ai-je mis en lien que la recette soft, le foie gras autorisé aux plus de 12 ans. Car il paraît que sur certains sites interdits aux mineurs on trouve la même recette exactement, mais en bocal non étanche. À ce stade, même le chien recule.

Quand on pense qu'il y a des oies et des canards qui sont morts pour ça… Quelle connerie, la faim, tout de même…

vendredi 10 décembre 2010

L'amiral a vraiment mauvais esprit


Voici ce qu'il ose écrire sur son blog, ce bougre de marin d'eau saumâtre :

« J’ai appris que les primaires du parti socialistes était ouvertes à tous. Donc je fais le même appel que Rush Limbaugh même si je n’ai pas de favoris pour la présidentielle de 2012, même si je n’irais d’ailleurs sans doute pas voter, allez tous voter pour le candidat le plus improbable du PS! Rien que pour le plaisir de foutre le merde, rien que pour retourner la pseudo-démocratie contre elle-même, rien que pour faire trembler la gueuse sur ses grosses jambes pataudes. Quand les petits candidats à demi-attardés auront fait des bons scores, les gros seront obligés de leur donner des gages de bonne volonté, ou ils se déchireront.

« Que du bonheur comme disent les animateurs de télé au sourire de figue éclatée.

« De toutes façons, bien malin qui est capable de dire où nous en serons dans 2 ans. Statu quo ou explosion de l’euro? Soulèvement populaire ou pérennisation du totalitarisme soft? On verra bien. En attendant autant rigoler un peu en faisant pleurer les autres. »


Je trouve une telle idée parfaitement ignoble. Mais bien tentante tout de même.

jeudi 9 décembre 2010

2011 ? Qu'est-ce que c'est que ça, 2011 ?


Ils sont mignons, nos collabos modern style, non ?

Et puis, le vert leur va si bien...

Le réchauffement climatique bat son plein


L'impression un peu perturbante, ce matin, de vivre à l'intérieur d'un dessin animé de Walt Disney – et la question immédiatement corollaire : comment faire pour se sortir de ce piège à rats, tout en sucre et en guimauve durcie ? Eh bien, on ne peut pas. On ne va même pas essayer. On va rester tout tranquillement devant son ordinateur, on n'ira pas à Lagardère et c'est Lagardère qui viendra t'à nous, si besoin est. Déjà, partant de Levallois à trois heures et quart hier, Ludovic et moi avons eu beaucoup de chance de rallier le Plessis en une heure et demie : les malheureux qui ont tenté leur chance après nous étaient encore dans leurs voitures à neuf heures du soir, en tout cas dans certains coins de l'Île-de-France ; la vie, présidée par le tout-puissant et irrésistible réchauffement climatique commence à prendre les allures d'une nouvelle de Julio Cortàzar.

Disney d'un côté, Cortàzar de l'autre : l'écartèlement spirituel est à son comble.

lundi 6 décembre 2010

Et si on reparlait un peu du vers décasyllabique ?

Le vers de dix syllabes (et non “pieds”) est l'un des plus français, et des plus anciennement français qui soient. On le rencontre à chaque pas chez François Villon, poète fondateur s'il en est. La “coupe” classique de ce vers est à 4/6 le plus souvent, parfois à 6/4 mais en de moindres occurrences :

Je meurs de soif/auprès de la fontaine
Chaud comme feu/et tremble dent à dent
En mon pays/suis en terre lointaine
Science tient/à soudain accident

Le vers décasyllabique n'a jamais vraiment disparu, mais il a changé de coupe, si l'on peut dire. Au XIXe siècle, Verlaine le traite comme un alexandrin, c'est-à-dire avec césure à l'hémistiche :

Je vous vois encore/en robe d'été
Blanche jaune avec/des fleurs de rideau
Mais vous n'aviez plus/l'humide gaîté
Du plus délirant/de tous nos tantôts…

(Ce poème de Verlaine possède la faculté de me faire monter les larmes aux paupières, sans que je sois bien capable d'en démêler le pourquoi. – C'était une incise.)

Ou encore, dans ses si délicieuses Pensionnaires :

Et sa sœur les mains/sur ses seins la baise
Puis tombe à genoux/et devient farouche
Et tumultueuse/Et folle et sa bouche/
Plonge sous l'or blond/dans les ombres grises…

(Je reconnais que le premier vers cité est, de ce point de vue de la césure, boiteux.)

De même Victor Hugo, grand maître ès-prosodie, dans ce poème qui, je ne sais pourquoi, résonne en moi :

Vous êtes bien belle/et je suis bien laid
À vous la splendeur/ de rayons baignés
À moi la poussière/à moi l'araignée…

Néanmoins, Verlaine, pour revenir à lui, se souvient fort bien de la découpe de François Villon et d'autres :

Votre âme est un/ paysage choisi
Que vont charmant/ masques et bergamasques
Jouant du luth/ et dansant et quasi
Tristes sous leurs/ déguisements fantasques.

Mais il est vrai que Verlaine prend là des libertés qu'un Villon n'aurait sans doute pas tolérées, faute de les avoir imaginées lui-même. Enfin, qu'ils se débrouillent entre eux, où ils sont.


(Pas de ponctuation dans ces lambeaux de poèmes cités de mémoire : les points et les virgules sont volatiles...
)

Serge Gainsbourg : procès en appel

Il fallait bien que j'y revienne, après ce que j'en ai dit hier. Et, surtout, ayant brandi cette période 1958-1963, qui serait celle où Gainsbourg aurait été vraiment Gainsbourg. Donc, ce soir, deuxième entorse, j'ai pris la peine d'écouter les disques de cette époque-là. Eh bien, oui, Serge Gainsbourg, à ses débuts, a étincelé. J'ai sans doute exagéré en poussant jusqu'en 1963 , car il a commencé à s'effondrer avant cette date (écoutez donc Viva villa...). Mais enfin, il fut durant trois ou quatre ans impérial, captant l'époque comme personne et avec une élégance suprême, même dans ses chansons les plus misogynes. Cette élégance se voit, s'entend “en creux” lorsqu'on écoute Ronsard 58, texte écrit par un abruti dont je ne tiens pas à me souvenir du nom et qui, grâce au Ciel, a disparu corps et bien. Cette chanson, qui tenait emphatiquement à témoigner d'une époque, est de celles qui ont le plus mal vieilli, que l'on “saute” dès qu'on a une zapette à portée de main. Bref : c'est de la merde.

Gainsbourg (Gainsbourg, auteur), lui, ne cherche pas à capter son époque, il veut juste gagner de l'argent avec ses chansons. Et c'est comme cela qu'il saisit l'époque. (Du reste, c'est en écoutant ce Gainsbourg-là, et en se souvenant de Trenet, que l'on comprend pourquoi on considère Nougaro comme une merde, ne connaissant à peu près du jazz que Dave Brubeck...)

Revenons à Gainsbourg, à celui de cette époque. Il s'inscrit – sans doute sans l'avoir voulu – dans une tradition. Son Poinçonneur des Lilas, c'est évidemment du Boris Vian (lequel vient d'entrer en Pléiade, ce qui dit bien à quel point la Culture s'est effondrée, mais comme dirait l'autre : c'est un autre sujet…). Saviez-vous, bonnes gens, que Vian et Gainsbourg avaient en projet un disque commun, en 1959, et qui ne s'est pas fait pour cause de mort du premier cité ? Bref.

Revenons à la tradition. Gainsbourg est très solidement inscrit dans les années cinquante, ne serait-ce que parce qu'il “musique” des poètes classiques (Musset, Hugo, Baudelaire, Arvers, etc.), comme le font Léo Ferré à la même époque, par exemple, ou Brassens. Gainsbourg oscille toujours entre l'extrême point de la modernité et la tradition la plus ancrée : des chansons comme Le Jazz dans le ravin font irrémédiablement penser à ces films en noir et blanc où évoluent Jean Gabin, Paul Frankeur et d'autres, sous la caméra d'un Decoin ou, en dessous, d'un Grangier.

En même temps, réécoutez cette chanson, Alcool, qu'on commentateur signalait hier ici même : elle annonce le Houellebecq d'Extension du domaine de la lutte.

Pour finir, il va de soi que les “auteurs-compositeurs-interprètes” ne valent pas forcément mieux que les interprètes seuls. C'est du reste une classification qui étonnerait beaucoup les Américains. Ainsi, Serge Reggiani est le meilleur interprète, ou traducteur, des années soixante-dix de ce qui s'appelle encore, mais pour peu de temps, la France. Il est l'interprète, et pour le coup au sens fort, de la France mise en image et “en sens” par Claude Sautet – ce pays disparu dont nous sommes quelques-uns, encore, à nous souvenir.

dimanche 5 décembre 2010

Vous pouvez remiser vos boules de cristal


Pour connaître l'avenir de la démocratie en France, il suffit, depuis quelques jours, de se tourner vers la Côte d'Ivoire. Les fabricants de machettes se frottent les mains, on n'a pas fini de rigoler.

Accordez, accordez, accordez donc…

À tant faire que de transgresser, n'est-ce pas… de se risquer sur le bizarre… Puisque l'Irremplaçable m'a pour ainsi dire contraint à une reprise momentanée de l'apéritif (on est prié d'attendre le journal de décembre pour vraiment comprendre…), j'en ai profité pour faire une chose dont je ne me serais pas cru capable : réécouter Gainsbourg. D'abord L'Homme à la tête de chou, puis L'Histoire de Melody Nelson. Triste constat : comme tout cela est poussiérieux, obsolète, presque mort déjà ! Et quand je dis presque

Ce pauvre Gainsbourg, il a dû bien souffrir de ses admirateurs. Entre ceux qui le prenaient pour un poète au nom de ses jongleries verbales du premier concept album cité, et – pire, bien pire – ceux qui l'ont cru musicien à cause des nappes violoneuses de Jean-Claude Vannier épandues sur le second, sans même parler des acheteurs de ses derniers disques absolument vides, on entrevoit bien la douleur de l'imposture qui a dû être la sienne et qui…

Wof ! quelle importance ? Serge Gainsbourg, fausse valeur se sachant tel, a déjà disparu de ce monde, et c'est la moindre des choses. (Ici, l'écoutant, j'avais prévu un petit couplet à propos de Melody Nelson, qui est tout de même l'une des pires kitscheries que le second XXe siècle ait produites, dans ce domaine sans grand intérêt de la variété, et puis à quoi bon ?) Mais, juste après cette pure guimauve prétentieuse – que j'ai interrompue à mi-chemin, n'en pouvant plus de ces dégoulinades vanniéresques –, j'ai posé dans le chariot un disque de Juliette Gréco, et la première chanson disait : “ Accordez, accordez, accordez donc / L'aumône à l'accordé-accordéon ”. – Et peut-être Gainsbourg restera-t-il pour ces trois couplets vite troussés et cette mélodie évidente posée dessus. Parce qu'il me semble – je n'en sais rien, je subodore – qu'il n'y a rien de plus rare que de trouver une mélodie évidente pour habiller des vers de mirliton et néanmoins miraculeux (miraculeux dans leur conjonction avec la mélodie, mais aussi avec une époque – et de nombreuses chansons “idiotes” de Piaf possèdent cette vertu étonnante et fraîche).

Tenez, prenez ceci, ce simple titre : Que reste-t-il de nos amours ? Fredonnez-vous la mélodie qui va avec. Là, vous avez une chance d'accéder à l'intemporel. De même avec Parlez-moi d'amour : suprême et sublime bêtise. On n'en finit jamais avec la bêtise commune. Pour l'exprimer (au sens où l'on exprime un jus d'agrume ou de fruit), il y faut une forme de génie, lequel se révèle comme en passant et sans doute pas à coups de concept albums.

Serge Gainsbourg est mort et il ne ressuscitera pas, croyez-m'en. Et il me semble qu'il le savait.

samedi 4 décembre 2010

Les mâles perdus dans leur infini de trois jours


Ne reculant devant aucun obstacle, l'Irremplaçable a bondi dans sa voiture (c'est-à-dire dans la mienne, et me laissant son tas de boue) dès huit heures du matin, afin de gagner la Franche-Comté, après une halte déjeunatoire – je parle désormais couramment le modernœud de la rue – à Dijon. Elle se trouve actuellement sur l'autoroute A je-ne-sais-combien, la toute neuve qui relie Orléans à l'A 6, et dont Roselyne, cette pouffe passéiste, refuse d'admettre l'existence. C'est un voyage de filles, puisqu'elle a emmené Bergotte, laissant ses trois mâles à la maison. Le vieux mâle à deux pattes est allé faire quelques courses de première nécessité, avant de rentrer se calfeutrer avec ses frères canins. Il a lu le billet du jour de cette pâle baudruche de Guy Birenbaum, et se demande encore par quel accès de vague masochisme il en est arrivé là. À présent, il va aller vider le lave-vaisselle, ce qui revient un peu au même.

L'homme seul est le dernier théâtre possible de l'épopée journalière.

vendredi 3 décembre 2010

Les Parents pauvres ou : la caillera est-elle soluble dans le crâne d'œuf ?

« (...) Depuis 25 ans, le Collège international de Paris fonctionnait ainsi. Un mélange de classes d’élite et de classes lambda, vivant à peu près en bonne intelligence dans ce gigantesque paquebot de béton. Et puis une nouvelle proviseure est arrivée cette année, avec un « projet d’établissement » sous le bras. Madame Katia Blas a décidé de mélanger les classes générales et internationales dès la rentrée prochaine. Jointe au téléphone, la proviseure s’est montrée choquée par l’indignation des parents d’élèves internationaux. Comment ne pas être d’accord avec son projet égalitaire, qui n’a d’autre but que de « prévenir la violence » et « améliorer les résultats de l’établissement » ? Avec un aplomb digne d’un Benoît Hamon expliquant son projet « d’égalité réelle », Madame Blas s’est émue des différences de résultats entre les classes « d’élite » (93% de reçus au brevet) et les classes générales (à peine 45%). Pour la proviseure l’idée même de classes d’élites est insupportable. Comme de bien entendu, le mot « discrimination » fait partie de son vocabulaire. Pour ces petits soldats de « l’égalité réelle », il ne saurait y avoir de justification à l’existence de classes internationales, peuplées d’intellos avec seize de moyenne, dans un établissement public.

« Pour la sécurité des internationaux (dont elle reconnaît qu’ils se prennent à l’occasion des claques dans les couloirs, sur le mode « zyva sale bouffon »), la proviseure prône donc la seule solution possible : mettre dans la même classe intellos et cailleras nihilistes. S’appuyant sur les travaux de sociologues obscurs, la proviseure certifie que son projet d’établissement est la solution à tous les problèmes. Fini les violences ! En passant leurs journées côte à côte, bons élèves et ados en échec scolaire vont devenir les meilleurs amis du monde. Terminé les claques et les moqueries. Pour couronner le tout, les cancres vont, bien entendu, s’inspirer des bouffons à lunettes et raccrocher les wagons de la réussite scolaire ! Si ce n’était pas aussi triste et naïf, on pourrait en rire. (...) »


L'article intégral de Causeur

jeudi 2 décembre 2010

La Bourse et la vie – Cees Nooteboom

Harry Mulisch m'a entraîné chez Multatuli, lequel viens de me ramener vers Cees Nooteboom par une double volonté, de ne pas quitter encore les Pays-Bas et de revenir vers le présent – un présent de plus en plus large, épais, profond ; un présent qui englobe la totalité de mon existence ; un présent d'un demi-siècle.

Rituels (Rituelen), paru à Amsterdam en 1980, est un roman assez court – d'après mes rapides calculs, il a exactement le volume d'un Brigade mondaine... –, divisé en trois parties inégales (30, 110, 110). Les deux plus importantes en volume se passent respectivement en 1953 et 1973 ; quant à la plus courte, curieusement intitulée Intermède alors qu'elle ouvre le roman, elle se situe en 1963 ; ce qui, du coup, justifie son titre.

En dehors d'Inni Wintrop, le principal personnage, celui qui entraîne le livre, il en est deux autres, père et fils, qui sont éponymes (ah ! ah !) des deux dernières parties : Arnold et Philip Taads. Ce sont des hommes qui s'éloignent, pour reprendre la très lapidaire quatrième de couverture du dernier roman de Renaud Camus, Loin. Quant à Wintrop, il aime à se décrire comme “un trou”, une absence, et il prend comme un compliment la remarque à lui faite un jour par un de ses amis : « Tu ne vis pas, tu te laisses distraire. » Je suis arrivé au moment de l'histoire où Wintrop fait la connaissance d'Arnold Taads, et ne puis donc rien dire encore de ce qui va advenir. Mais je peux donner cette esquisse de portrait, que l'on rencontre à la page 15 de l'édition folio :

« Inni Wintrop, aujourd'hui plutôt dégarni, mais en ce temps-là pourvu d'une toison d'or drue, rebelle et longue pour l'époque, se distinguait de nombre de ses contemporains en ce qu'il ne se sentait pas la force de passer une nuit seul, possédait un peu d'argent et avait parfois des visions. En outre, il faisait épisodiquement commerce de tableaux, tenait la rubrique astrologique du quotidien Het Parool, savait par cœur une foule de poèmes néerlandais et suivait au jour le jour le marché des valeurs et celui des matières premières. Quant aux convictions politiques de toute nature, il voyait en elles des formes plus ou moins bénignes d'aberration mentale, et il s'était réservé dans la vie le rôle du dilettante, au sens italien du mot. (...) S'il avait jamais possédé la moindre ambition, il eût été le premier à se traiter de “raté”, mais il en était totalement dépourvu, il considérait la vie comme un club un peu bizarre dont il était devenu membre par hasard et dont on pouvait être radié sans explications. Il avait déjà résolu de quitter ce club dès que la réunion deviendrait trop ennuyeuse. »

Et pour faire écho à cette dernière phrase, je vous livre en conclusion provisoire celle par laquelle s'ouvre le roman, et qui devrait ravir mon ami Hervé Ikspé par sa concision impassible et cocasse :

« Le jour où Inni Wintrop attenta à sa vie, l'action Philips cotait 149,60. »

Je retourne lire.

Vive la neige, le télétravail et l'infection des voies urinaires !

Comme le dit un fameux proverbe qui mériterait bien d'exister : la conjonction fait le larron. Ce matin, en m'éveillant, j'ai pu comme beaucoup d'entre vous constater qu'il était tombé une dizaine de centimètres de neige, et que celle-ci, bien accueillie, avait décidé de rester. La dernière fois que cela s'était produit, en 2009 – décembre, je crois bien –, j'avais mis deux heures pour gagner Levallois au lieu d'une d'ordinaire. Ce qui, en principe, n'est pas pour faire reculer le vaillant petit rewriter.

Oui seulement, là, depuis deux jours, votre bloguesque serviteur est affligé d'une infection localisée entre le bas de son ventre et le haut de ses cuisses, laquelle le conduit à se rendre aux lieux environ trois fois par heure. Et l'expérience lui a montré, durant ces quarante-huit heures, que le délai maximum pour dénicher un réceptacle, après que le besoin a point, était d'environ trente secondes. Si vous combinez ces deux données hautement contingentes, vous comprendrez que je n'aurais su prendre la route ce matin, sous peine d'arriver à bon port en des états propres à faire sourire de moi et à dégoûter de ma personne les femelles de l'espèce. C'est ce que mon vénéré chef de service a admis sans difficulté notoire ; et, par sa grâce, je me suis donc transformé en télétravailleur qui regarde la neige choir sur le Plessis en attendant que survienne dans sa boîtamel une quelconque tâche à accomplir – laquelle fait la course avec un déjeuner de plus en plus imminent, sans qu'on puisse dire qui des deux va l'emporter.

Il faut que je vous laisse : les toilettes de la Case sont au moins à six mètres de ce bureau, et je ne dois rien négliger...

mercredi 1 décembre 2010

Bon, on la fait, cette promenade quotidienne ?

À la page 251 des Demeures de l'esprit – France du Nord-Est, je tombe sur ce début de paragraphe :

« J'ai bien peur qu'il n'y ait pas grand-chose à dire de la maison natale de Claude Gellée, dit le Lorrain, à Chamagne, village du département des Vosges mais situé tout à fait dans la plaine, à l'ouest de la chaîne éponyme – c'est terrible, on n'ose plus employer cet adjectif, depuis qu'il signifie tout et n'importe quoi (un peu comme surréaliste) ; mais, en l'occurrence, c'est bien éponyme que je veux dire. »

Rien de plus irritant, en effet que ces mots dévoyés, le plus souvent – et c'est le cas ici – par les ânes apprêtés qui encombrent les salles de rédaction. Il y a bien deux ans maintenant que mes doigts restent en suspens au-dessus du clavier chaque fois que ce pauvre éponyme devrait être choisi, et même requiert de l'être. Ne tenant pas à passer pour un perroquet médiatique, je m'abstiens généralement de l'utiliser et m'efforce de tourner autrement ma phrase – mais c'est irritant de devoir ainsi descendre du trottoir pour laisser aller les brutes.

Il y a quelques années – j'en ai peut-être déjà parlé, mais répéter n'est pas mauvais –, j'ai dû bannir de la même façon la locution sauf à, qui, après avoir tout à fait disparu du langage, au moins de celui que l'on parle, a brusquement opéré un retour, mais totalement défiguré par le mâchouillage des mandibules journalistiques – au point que son sens est devenu à peu près le contraire de ce qu'il avait toujours été. En français classique, la phrase : Je ferai ma promenade quotidienne sauf à être trempé devrait signifier, a très longtemps signifié : Je ferai ma promenade quotidienne dussé-je être trempé.(puisque “sauf à” est synonyme de “quitte à”). Or, désormais, tout le monde comprendra : Je ferai ma promenade quotidienne à moins que je doive être trempé. Partant, on est bien obligé de laisser tomber cette malheureuse locution, pourtant d'une élégante sobriété, sous peine d'être compris de travers ou de passer pour un plouc, au moins à ses propres yeux. Et il en va désormais de même, en effet, pour éponyme.

Il reste que Renaud Camus et moi devrions peut-être nous montrer un peu moins soucieux de l'opinion d'autrui, pour tout dire un peu moins snobs. Assurés d'employer le mot dans son acception correcte, pourquoi tendre l'oreille aux remarques ironiques et l'œil aux sourires en coin ? Il faudrait savoir passer outre. Comme dirait l'autre : quand on sait que l'on ne doit pas couper la salade avec son couteau, on peut couper la salade avec son couteau. Et il ne faudrait pas renoncer à éponyme, sauf à se faire moquer de soi.