vendredi 31 mai 2013

La destruction morale de l'Europe, une histoire cyclique ?

Dans la première partie (L'Héritage de la guerre) de son livre, l'historien britannique consacre un chapitre à ce qu'il nomme la “destruction morale” de l'Europe, avec son corollaire : la crue de la délinquance sous ses différentes formes. On y apprend sans trop de surprise que, entre 1939 et 1945, les chiffres des délits connurent une hausse spectaculaire, à mesure que les combats se propageaient sur le continent. Par exemple,  les affaires de vols triplèrent en France durant cette période. Ce qui est plus étonnant, c'est que, durant la même période, ils quadruplèrent en Suède, pays pourtant neutre ; et que, dans certains cantons suisses, celui de Bâle en particulier, la délinquance juvénile fut multipliée par deux, toujours en ces mêmes années. Lowe avance l'hypothèse que l'explication se trouverait dans le profond sentiment d'angoisse qui s'est répandu sur l'Europe en même temps que les hostilités, se propageant telle une infection microbienne sans épargner aucun territoire, y compris ceux qui étaient pourtant préservés de l'invasion et des destructions. La suite est au moins aussi intéressante ; je cite Lowe :

« Dans la plus grande partie de l'Europe occupée, le vol devint si commun qu'il cessa complètement d'être un crime. De fait, beaucoup de gendarmes, de policiers et d'autorités locales ayant été remplacés par des séides inféodés aux nazis, le vol et d'autres délits furent souvent élevés au rang d'actes de résistance. […] Rien n'empêchait de justifier toutes sortes de vols et de pratiques de profiteurs, surtout a posteriori, car ces affirmations sonnaient souvent vrai. En vérité, c'était tout l'univers moral qui marchait sur la tête : des actes naguère frappés d'immoralité étaient maintenant élevés au rang d'un devoir moral. »

Nous n'en sommes évidemment pas à ériger le vol et les déprédations en “devoir moral” (la barbarie de l'Europe n'en est encore qu'au stade “folklorique”…). Il n'en demeure pas moins que, de plus en plus, lorsque les policiers se mêlent d'arrêter des casseurs de boutiques, des détrousseurs de passants ou des pilleurs d'entrepôts, ceux-ci savent bien qu'ils ont toutes les chances d'être immédiatement remis en liberté – avec ou sans condamnation – par les enrobés de Mme Taubira ; et quand un ministre de l'Intérieur se permet d'appeler bousculade les violences et pillages qui embrasent tel quartier de Paris, il envoie à ces prédateurs ce que le jargon moderne appelle un “signal fort”. Du reste, si le pillage n'est pas encore un devoir moral, il n'entraîne déjà plus de flétrissure sérieuse pour ses auteurs. À chaque nouvelle flambée, les journalistes parleront mécaniquement d'exclusion, de précarité, de chômage et – bien entendu, c'est quasiment obligatoire – de “racisme”. Et l'on a pu voir, il y a quelque temps, un blogo-militant gauchiste expliquer doctement qu'il ne fallait pas s'étonner (et encore moins s'indigner, a-t-on compris) de ce que de telles déprédations aient lieu, dans la mesure où ces magasins pillés avaient l'outrecuidance d'exposer dans leurs vitrines des objets que les jeunes-à-guillemets qui les ont détruits ne pouvaient pas se payer.

On peut se demander si, au contraire des ruines de ses villes qui ont été relevées, l'Europe s'est jamais remise de cette destruction morale dont parle Lowe.

jeudi 30 mai 2013

Velàzquez s'invite au printemps


Le tableau n'a rien à voir avec mon journal d'avril, mais beaucoup avec le roman de Pierre Veilletet dont je parlais ce matin ; donc…

Ça commencerait comme une histoire de nains…


Tiago est un nain andalou. Il vit à Ubeda, où il est tour à tour, chaque jour, cireur de souliers, aide-coiffeur, garçon de ménage au couvent des Carmélites, rendeur de services en tous genres pour Mme Polentinos, la tenancière de l'hôtel de passe où il loge. En outre, il se rend tous les après-midis chez don Luis Fernandez de Los Cobos, vieil aristocrate aveugle à qui il lit le journal, et en particulier les comptes rendus tauromachiques ; pour complaire au vieillard, il lui invente des corridas imaginaires lorsque celles du journal ne sont pas propres à satisfaire ses marottes. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela prend quelques semaines.

Art est un nain nord-américain, il vit à Chicago. Métis d'un noir et d'une Mexicaine, il est pianiste, comme Art Tatum qu'il révère et dont il porte le prénom. Il n'écoute jamais Lester Young ni Thelonious Monk, parce qu'ils lui font peur. Il déteste les chiens, mais aime beaucoup Wren, la jeune Chinoise fumeuse de joints qui travaille à l'Étoile de Siam, la gargote asiatique occupant le bas de son immeuble de brique, planté au milieu d'un terrain vague. Art est sur le point de sortir son premier disque, mais se fâche avec son producteur, avant de se rendre au Park Wyatt, où il doit accompagner une fille de famille qui enterre sa vie de chanteuse médiocre. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela dure une journée.

Jacques est un nain de Gascogne. Contrefait, bossu, boiteux, sa description fait penser à Michel Petrucciani, sauf qu'il ne joue pas de piano contrairement à Art. Entre son père et sa mère, il porte tous le poids moral de sa propre disgrâce et se laisse traîner de lieux de pèlerinage consacrés en fontaines miraculeuses sans jamais protester. Après la mort de son père devenu alcoolique, il se fait lui-même alcoolique, au sein de la même bande de Gascons dont il devient une sorte de mascotte. Puis, renonçant à l'alcool, il prend le chemin de Compostelle : c'est Jacques le Minus – son surnom à l'école – claudiquant à la rencontre de Jacques le Majeur. Un jour, à la suite d'un événement particulier, il décide de rendre enfin visite à sa correspondante épistolière qu'il n'a jamais vue – et il part pour Lisbonne. Tout cela s'étale sur de nombreuses années.

En dehors de leur correspondante lisboète, ces trois nains n'ont aucun point de contact entre eux (même si, un jour, sur une plage des environs d'Arcachon, Jacques lit un roman de la Série noire se déroulant à Chicago). Quant à la correspondante, elle apparaît une fois dans chacun de ces trois chapitres, en une très courte annotation rédigée à la première personne, imprimée en italique – et c'est pour nous avertir que le temps n'est pas encore venu pour elle d'intervenir dans l'histoire.

Elle ne ne prend vraiment la parole que dans les toutes dernières pages de cette première partie, intitulée assez mystérieusement (mais en fait pas tant que ça) : Les Invités sont des fuyards. C'est pour nous présenter, brièvement, les quatre autres nains qui, d'un peu partout, s'apprêtent eux aussi à converger vers Lisbonne.

Et je suis arrêté là dans ma lecture de Mari-Barbola, second roman publié par Pierre Veilletet, écrivain bordelais dont j'ai commencé de parler hier. Et dont je suis, pour le moment, ébloui.

mercredi 29 mai 2013

Méfiez-vous tout de même un peu de la Pension des Nonnes


Encore une fois, merci à Denis Tillinac, pour avoir évoqué Pierre Veilletet dans sa dernière chronique, et l'avoir fait en des termes qui m'ont donné envie de faire venir jusqu'ici le volume de ses écrits complets édité par Arléa. Je viens de lire le texte qui ouvre le livre, et qui se trouve aussi inaugurer l'œuvre : La Pension des Nonnes. Court roman de soixante pages ? Plutôt longue nouvelle de soixante pages, centrée sur – non : construite autour d' – un Génois nommé Domenico, né 35 ans auparavant sur le port, où l'on n'est personne, et qui, à force de débrouillardises en tous genres, est parvenu à se hisser jusqu'aux dernières hauteurs de la ville, où l'on peut croire qu'on est devenu quelqu'un. Domenico a une maîtresse, bourgeoise “de souche”, elle. Au moment où débute le récit, elle tente de convaincre son amant – sinon en titre, du moins en durée : voilà six ans que dure leur affaire – de la rejoindre à Hambourg. Domenico se laisse entraîner plutôt que convaincre. Ce que Laura ni lui ne sait, c'est qu'il ne se rend pas à Hambourg pour la rejoindre, mais au contraire pour la perdre. Quant à lui-même, se perd-il ou se réinvente-t-il ? Dilution ou métamorphose ? Ce sera au lecteur d'en décider, ou de s'abandonner au flou et à une certaine langueur, comme Domenico le fait lui-même. À la dernière des soixante pages, si Domenico n'est certes pas devenu allemand, il a cessé à tout jamais d'être génois.

Dès l'entame de ce récit miroitant et comme étouffé, on sait que l'on est en présence d'un écrivain, par la distance juste que Veilletet installe entre lui et son personnage quasi unique : une bienveillance sans jugement, mais çà et là piquetée d'ironie – quelque chose comme ça. La langue est insinuante, discrète avec quelques minuscules éclats de cocasserie : langue de tweed et de cachemire. Et voyez le prodige : bien qu'il se perde, se dissolve, se transforme en quelqu'un d'autre dont nous et lui-même ignorons tout, Domenico existe indubitablement.


Pierre Veilletet est né le 8 octobre 1943. Il a été rédacteur en chef de Sud-Ouest et, horresco referens, a fondé une revue consacrée à la tauromachie. Il est bêtement mort en janvier dernier.

La seule croissance obtenue par les socialistes (à ce jour) : celle de la fameuse “homophobie”


Dans son article du jour, l'excellent Christian Combaz explique pourquoi, grâce aux socialistes et à leur supplétifs, qui ont eu cette lumineuse idée du mariage guignol, la fameuse “homophobie” par quoi nous sommes censés être ravagés jusques aux moelles risque fort de repartir à la hausse, si ce n'est déjà fait : c'est ce qu'on appelle un effet pervers. Et ce n'est certainement pas le cirque montpelliérain d'aujourd'hui qui a la moindre chance d'arranger les choses. Comme le souligne Combaz, les gens d'ici et de là, en France, s'habituaient gentiment, depuis quelques décennies, à ce que tel ou tel de leurs voisins ou de de leurs co-occupants de comptoir ne soit pas resté célibataire uniquement par goût de la solitude – et ils n'avaient plus grand mal à résister à l'ancestral besoin de lui jeter des pierres, contrairement à ce qu'écrit un commentateur décérébré sous je ne sais plus quel billet de Nicolas – je manque de courage et de temps pour y aller voir.

Chemin faisant, Combaz se demande aussi pourquoi, depuis des mois que dure cette guéguerre, les journalistes ont aussi soigneusement et systématiquement évité, lors de leurs fameux “micro-trottoirs”, de recueillir les opinions des franges les plus allogènes et les plus colorées de notre pays. En réalité, il se le demande de manière toute rhétorique, car je crois bien qu'il connaissait la réponse avant de poser la question. Mais c'est un homme d'assez mauvais esprit, qui doit bien avoir, ici ou là, dans les recoins de ses tréfonds, quelques restes de phobies mal récurrés.

lundi 27 mai 2013

Dominique Venner, ni magnifique, ni majestueux


En ses modalités, le suicide de Dominique Venner, malgré la considération que j'avais pour l'historien, et aussi pour sa personne, me gêne, et c'est pourquoi je récuse les termes que lui accole Renaud Camus dans les différents communiqués de son parti. Magnifique ? Majestueux ? Mais non ! Assez bouffon, même, si l'on veut bien y penser ; emphatiquement théâtral, au moins. À partir du moment où il laissait un texte expliquant les raisons de son choix, il me semble qu'il aurait pu se dispenser de cette sorte de suicide pride ostentatoire et bruyante (ça résonne, une nef de cathédrale, du coup on dérange bien du monde…). On nous explique, çà et là dans certains blogs de droite, qu'il était quelque chose comme anti-chrétien, qu'il se référait à une sorte d'“Occident d'avant” : c'est faire commencer la décadence bien de bonne heure, je trouve. Et si c'est pour nous ramener aux druides en chemises de nuit blanches, coupant le gui dans je ne sais quelle forêt des Carnutes, qu'on ne compte pas sur moi pour trouver cela majestueux. D'autant que, pour les catholiques – il en reste, je crois –, ce geste magnifique ne peut être, à ce qu'il paraît, qu'un blasphème assez court, qui sent sa posture, voire son trépignement d'adolescent un peu trop désireux de choquer. Je n'ai rien contre la mort volontaire – rien pour non plus : chacun doit en être juge, dès lors qu'il s'agit de la sienne –, mais il me semble qu'elle devrait au moins requérir une sorte de dépouillement, de simplicité. En ce sens, Dominique Venner a manqué la sienne.

Sale temps pour les progresseux, on dirait


Premier travail du matin – après avoir poussé le café sur ses rails, nourri le chat, ouvert aux chiens… –, la mise sous tension de l'ordinateur. Deuxième travail du matin – après avoir nettoyé la boitamel des fucking spams qui la jonchent –, aller balayer du regard la blogoliste de Nicolas 1er, roi des sociaux-traîtres. Là, stupeur et malentendement : depuis hier après-midi et celui du sieur Gabale, qui n'hésitait pas à parler de fiasco, en se basant pieusement sur les chiffres officiels, pas un billet, pas un seul – à l'heure où je mets sous presse, tout seul avec mes petits doigts gourds –, pour se moquer du nombre ridiculement réduit des manifestants d'hier, ni pour s'indigner vertueusement des débordements de violence des hordes fascisantes. Comme, chez ces bons jeunes gens, silence équivaut le plus souvent à aveu, j'en déduis qu'il a dû y avoir beaucoup de monde et qu'aucun incident notable n'a été signalé. On a beau dire : pour animer une manifestation, le catho-Invalides ne vaudra jamais le supporter-Trocadéro – c'est triste mais c'est comme ça.

dimanche 26 mai 2013

Abroger des lois, l'histoire fait ça tous les jours


On nous affirme péremptoirement, ici et là, que continuer de s'agiter contre le mariage guignol est inutile et absurde, puisque la loi a été votée, promulguée, et qu'il sera impossible de l'abroger dans les temps à venir. Je pense moi aussi que personne ne prendra la peine de revenir sur elle, ne serait-ce que pour la raison qu'elle est destinée à rester à peu près lettre morte, sans objet. Cela étant, j'en suis d'accord à une importante restriction près : nul ne reviendra sur cette loi, dans le cadre du régime politique actuel ; c'est-à-dire de notre démocratie parlementaire, égalitaire et maternante. Or, rien n'est moins assuré de pérennité qu'un régime politique, quel qu'il soit, et la démocratie moins que tout autre. Que demain la Cinquième République soit remplacée par un régime autoritaire, voire dictatorial, et rien ne deviendra plus facile que d'abroger cette loi (ou d'autres) : il suffira que le pouvoir le décrète, et il le décrètera d'autant plus facilement que personne ne se lèvera pour la défendre, puisqu'elle ne concerne à peu près personne. Ceux qui auront été mariés par le truchement de la loi provisoire cesseront à l'instant de l'être, ou plus exactement on leur signifiera qu'ils ne l'ont en réalité jamais été. Je ne dis pas que ce sera juste, ni encore moins facile et agréable pour eux ; mais si les dictatures se souciaient de justice, cela se saurait, depuis le temps que l'histoire en sécrète.

On pourra toujours considérer l'hypothèse d'un “retour” (il n'y a, en histoire, ni avancée, ni retour) à ce type de régime comme une pure élucubration de ma part ; c'est ce que feront tous ceux qui croient que la démocratie constitue le devenir ultime de l'homme. De fait, il y a encore une vingtaine d'années, voire moins, le risque restait fort improbable. Mais si l'on essaie de considérer ensemble la crise économique actuelle, le naufrage de l'Europe et sa tension vers une bureaucratie soviétoïde, ainsi que l'immigration massive de populations aux leaders violemment hostiles à leurs hôtes contraints et tout à fait étrangers à l'idée même de démocratie, il devient déjà plus raisonnable, même si inquiétant, de se mettre à envisager une telle perspective, non dans un lointain avenir orwellien, mais pour les lendemains immédiats des plus jeunes générations actuelles. Si les démocraties européennes venaient à s'effondrer sous ces coups de boutoirs convergents, les lois impossibles-à-abroger auraient autant de souci à se faire que les acquis sociaux réputés intangibles.

Il y a comme ça des dimanches de plomb


Quand on y songe… Lorsque, ordinateur à peine allumé, on se met à penser aux tombereaux de bêtises que l'on va devoir lire, vers le soir, à propos de la nouvelle manifestation des homophobes rabiques escortant des fascistes à poussettes, si l'on se représente les niagaras de contre-vérités satisfaites et péremptoires que l'écran va vomir, il prend à l'honnête homme recru de tristesse l'envie de s'éloigner à pas traînants et lourds pour aller, pas trop loin mais bien invisible de ses congénères, poser son cul dans l'herbe.

Mais il ne peut même pas s'accorder ce havre, parce que l'herbe est encore trempée d'hier.

vendredi 24 mai 2013

Vivre ensemble : si même les écrivains morts s'y mettent, maintenant…


« […] En tout cas, les familles modernes présentent sous les étiquettes conventionnelles les plus cruels phénomènes de divorce secret, de mésintelligence foncière, quelquefois de haine, qui se comprennent trop quand on pense à leurs origines. Il se fait depuis cent ans des mélanges de province à province et de race à race qui ont chargé notre sang, à tous, d'hérédités par trop contradictoires. Des gens se trouvent être, nominalement, de même famille, qui n'ont pas un trait commun dans la structure mentale et morale. Par suite l'intimité quotidienne entre ces êtres devient une cause de conflits quotidiens, ou de dissimulation constante. »

Paul Bourget, Le Disciple, Livre de poche, p. 136.

Et en plus il n'a pas fait beau…


« Le parti de l’In-nocence note qu’en l’espace de quelques jours à peine, presque de quelques heures, l’historien Dominique Venner a mis fin à ses jours au pied de l’autel majeur de Notre-Dame de Paris, en une tentative désespérée pour attirer l’attention d’un peuple hébété sur le Grand Remplacement de population et de civilisation en cours, au bénéfice principal de l’islam ; qu’à Londres un soldat blanc a été sauvagement décapité en pleine rue au cri d’Allah akbar ; que la Suède vit une guerre ethnique ouverte, très semblable à celle qu’a connue la France en 2005, et que tout ce que trouve à dire de ces événements notre télévision officielle, ridiculement, c’est qu’ils « remettent en cause le modèle social suédois » ; que la même télévision, dans le même temps, diffuse un reportage sur les conversions à l’islam dans notre pays, qui s’effectueraient au rythme de quatre mille par an ; qu'en revanche elle ne croit pas devoir donner un instant d’attention à la mort d’Henri Dutilleux, certainement l’un des dix plus grands compositeurs français de tous les temps ; mais qu’elle se prépare, en toute probabilité, à accorder une place considérable au décès de Georges Moustaki, personnage et chanteur sans doute estimable mais culturellement et musicalement insignifiant.

» Le parti de l’In-nocence estime qu’il y a un lien étroit entre l’effondrement culturel dont témoigne l’abolition revendiquée de l’échelle des valeurs culturelles, d’une part, et, d'autre part, l’aveuglement à peine moins revendiqué face au changement de peuple et de civilisation, celui qui a conduit Dominique Venner à son geste fatal et magnifique. La petite bourgeoisie qui règne seule, culturellement, se révèle chaque jour plus incapable et moins désireuse de défendre une civilisation qui au fond ne lui est rien et pour laquelle elle éprouve le même ressentiment haineux que les actuels colonisateurs contre-coloniaux. On a longtemps jugé très abusifs et déplacés les termes de “collaborateurs” et de “collaboration”, pour les promoteurs du remplacisme, les propagateurs de l’hébétude, les réducteurs au conflit social de la guerre de conquête ethnique et autres Amis du Désastre. Il se révèle quotidiennement, hélas, que ces termes sont en tout point pertinents et justifiés. »

Puisque nous sommes dans les nauséabonderies, on lira aussi avec profit l'éditorial de l'Amiral Woland. En se demandant ce qui peut bien passer par la tête de tous ces réacs qui voient le mal partout, alors que, franchement, à part deux ou trois petites incartades du réel, tout semble se passer au mieux dans la belle Europe. Ils doivent être fous, probablement.

jeudi 23 mai 2013

Se dépêcher de dépenser l'argent qu'on n'a pas encore

Que faire, comment réagir, se comporter, lorsque, soudain, une somme d'argent rien moins que considérable mais tout à fait inattendue vous tombe dessus, ou du moins devrait le faire prochainement ? On pourrait, bien entendu, thésauriser, avec l'espoir fou qu'elle vous aidera à survivre aux quatre années d'hollandisme qui nous restent à endurer. Mais elle n'y suffirait pas. L'option la plus sage est donc de la dépenser le plus rapidement possible, avant que le pays ne s'effondre tout à fait, et nous avec. C'est ce que je viens de commencer à faire, en sommant Mme Amazon de m'expédier trois livres toutes affaires cessantes.

Tout d'abord, le premier tome – sur quatre – des Mémoires de ma vie, de Casanova, dans la collection Bouquins ; ensuite, les œuvres complètes (elles tiennent en un seul volume…) de Pierre Veilletet, dont j'ignorais qu'il fût passé sur cette terre jusqu'à ce que je lise, tout à l'heure, la dernière chronique de Denis Tillinac dans Valeurs actuelles ; et enfin, ce livre d'un jeune historien anglais qui, par son sujet, m'a semblé pouvoir être une sorte de prolongation des Terres de sang de Timothy Snyder, lues récemment. Si la Poste ne lambine pas trop, voilà qui devrait meubler les dix jours de vacances qui commencent demain. Sinon, on poursuivra vaille que vaille avec Jules Romains.

Les grands musiciens meurent aussi



Henri Dutilleux, 22 janvier 1916 – 22 mai 2013.

Bienvenue dans le monde enchanté du livre-arnaque


Il y a deux ou trois jours, nous parlions d'empathie, à propos du livre de Line Renaud. Voici donc un exemple a contrario. L'auteur s'appelle Fabien L. (on ne va pas, en plus, lui faire de la publicité). Son ouvrage, si on peut dire, s'intitule JOUR DE CHANCE et est sous-titré : Le jour qui a changé leur vie. On notera la pataude répétition dès la couverture, donc ; le reste n'est pas mieux écrit, qu'on se rassure.

Le principe est simple : on prend 140 chanteurs “d'hier et d'aujourd'hui” et on raconte en trois paragraphes ce fameux jour où leur destin a basculé. Et si leur destin n'a pas basculé ? On raconte quand même. Ce qui donne ce néant imprimé que j'ai sous les yeux, après qu'il m'est tombé des mains. Par exemple, tel chanteur – j'ai déjà oublié lequel – a vu son destin basculer le jour de ses quatre ans, lorsque ses parents lui ont offert un électrophone. Stupéfiant, non ? Cet autre chantait dans un cabaret lorsque, un soir, un producteur d'une maison de disques est venu l'écouter. On reste sidéré à l'idée qu'un producteur de maison de disques puisse avoir l'idée d'aller écouter de jeunes chanteurs, non ? 

Le pis est que, chaque fois que l'auteur, ou disons plutôt le compilateur, se mêle de parler d'un chanteur que je connais assez bien, je repère au moins deux grossières erreurs dans son texte ; d'où il est facile de déduire que les autres doivent en être truffés aussi. Au bout de cinquante pages, on oscille entre la colère et le rire nerveux.

On se console en se disant que cet escroc au petit pied n'en vendra pas cent. En tout cas on espère.

mercredi 22 mai 2013

Dernière lettre de Dominique Venner


« Je suis sain de corps et d’esprit, et suis comblé d’amour par ma femme et mes enfants. J’aime la vie et n’attends rien au-delà, sinon la perpétuation de ma race et de mon esprit. Pourtant, au soir de cette vie, devant des périls immenses pour ma patrie française et européenne, je me sens le devoir d’agir tant que j’en ai encore la force. Je crois nécessaire de me sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable. J’offre ce qui me reste de vie dans une intention de protestation et de fondation. Je choisis un lieu hautement symbolique, la cathédrale Notre-Dame de Paris que je respecte et admire, elle qui fut édifiée par le génie de mes aïeux sur des lieux de cultes plus anciens, rappelant nos origines immémoriales. 

» Alors que tant d’hommes se font les esclaves de leur vie, mon geste incarne une éthique de la volonté. Je me donne la mort afin de réveiller les consciences assoupies. Je m’insurge contre la fatalité. Je m’insurge contre les poisons de l’âme et contre les désirs individuels envahissants qui détruisent nos ancrages identitaires et notamment la famille, socle intime de notre civilisation multimillénaire. Alors que je défends l’identité de tous les peuples chez eux, je m’insurge aussi contre le crime visant au remplacement de nos populations. 

» Le discours dominant ne pouvant sortir de ses ambiguïtés toxiques, il appartient aux Européens d’en tirer les conséquences. À défaut de posséder une religion identitaire à laquelle nous amarrer, nous avons en partage depuis Homère une mémoire propre, dépôt de toutes les valeurs sur lesquelles refonder notre future renaissance en rupture avec la métaphysique de l’illimité, source néfaste de toutes les dérives modernes. 

» Je demande pardon par avance à tous ceux que ma mort fera souffrir, et d’abord à ma femme, à mes enfants et petits-enfants, ainsi qu’à mes amis et fidèles. Mais, une fois estompé le choc de la douleur, je ne doute pas que les uns et les autres comprendront le sens de mon geste et transcenderont leur peine en fierté. Je souhaite que ceux-là se concertent pour durer. Ils trouveront dans mes écrits récents la préfiguration et l’explication de mon geste. »

mardi 21 mai 2013

L'étrange fin d'un homme d'honneur


J'apprends à l'instant, grâce à Corto, que Dominique Venner, le fondateur et directeur de la Nouvelle Revue d'Histoire, à laquelle je suis abonné depuis quelques années, s'est suicidé cet après-midi en se tirant une balle, devant l'autel de Notre-Dame de Paris. Je ne sais s'il a laissé derrière lui une explication de son acte, et surtout du lieu choisi pour le perpétrer. Pour le moment, donc, silence.

lundi 20 mai 2013

L'empathie est un métier (en tout cas c'est le mien)


Quand on m'a refilé ce pavé, mercredi dernier, je n'ai pas pu m'empêcher de soupirer : 450 pages d'autobiographie de Line Renaud, à lire aussi vite que possible pour y trouver un “sujet”. D'accord, c'est vrai, c'est mon travail. Mais Line Renaud, tout de même ! Je m'en fous, de Line Renaud ! Je serais incapable de fredonner trois vers de l'une de ses chansons ! Par rapport à ma vie, en plus, elle tombe dans un trou : trop vieille pour être ma mère, trop jeune pour grand-mère. Mais enfin, c'est mon travail, de lire ce livre. Quand je prends le volume, il en tombe une sorte de carte de visite. Je la ramasse et j'y lis ceci :

En hommage de l'auteur
absent de Paris

J'ignorais absolument que se pratiquait encore cette manière de dire aux journalistes : « Je vous emmerde profondément, vous pouvez crever, jamais je ne vous dédicacerai mon livre, espèce de rat inutile. » Pour le coup, Line Renaud me devient tout de suite plus sympathique, plus proche. Mais enfin, je reste professionnellement contraint de lire ses 450 pages, et la chose ne m'amuse pas plus que cela. Or…

Or, je constate une fois de plus – car depuis un an et demi je lis beaucoup de biographies et d'autobiographies – que je suis incapable de rester en dehors de la vie d'une personne, pour peu qu'on la déploie devant moi, même si cette personne ne m'intéressait nullement avant et ne m'intéressera plus ensuite – ce qui est le cas de Mme Renaud.

D'où vient, d'où naît cette bizarre empathie ?  D'abord, évidemment, de la manière dont est rédigé le livre que j'ai entre les mains. Celui de Line Renaud est un modèle, pour cela : dès le début, et jusqu'au bout, elle trouve la bonne distance pour parler d'elle-même. Cette petite gamine du Nord ouvrier qui a connu toutes  les célébrités du showbiz international entre 1950 et aujourd'hui pourrait se vanter ou, tout aussi bien, se rabaisser de manière artificielle : elle ne fait ni l'un ni l'autre. En revanche, elle se jauge elle-même assez bien, je crois.

De toute façon, même si son livre avait été raté (ou même s'il avait été plus réussi, par exemple si je l'avais écrit, moi, plutôt que ce pauvre Bernard Stora qui, non content d'être un cinéaste sans intérêt, est également incapable de se hisser à la hauteur de son sujet), ça n'aurait pas changé grand-chose en ce qui me concerne.  Plonger dans la vie d'une personne donnée finit toujours par faire vibrer quelque chose en moi, à partir du moment où cette vie se dessine. Si bien que, parfois (mais ça me fout la trouille et j'évite d'y penser trop), je me dis que je serais capable de me passionner pour la vie d'un imbécile-à-prénom, tout droit sorti d'une émission de télé-réalité. 

(Mais il est vrai que je ne puis plus critiquer ces émissions-là, puisque je n'en ai jamais regardé qu'une seule, Le Grand Perdant, et que je suis immédiatement tombé dedans, tel Obélix dans sa marmite.)

Tout cela m'a éloigné de Line Renaud, évidemment. Il se passe ceci : j'ai lu son livre, j'ai écrit l'article que l'on attendait de moi, je devrais donc n'y plus penser, puisque je n'y avais jamais pensé avant. Or, “depuis j'y pense toujours”, comme disait Victor Hugo. 

Et je suis presque sûr que quand Line Renaud mourra (sauf si elle vit jusqu'à 115 ans et que je meurs avant elle), eh bien ! j'aurai l'impression que disparaît quelqu'un qui a a compté dans ma vie, uniquement parce que j'aurai, quelques heures dans la mienne, lu son histoire.

Ce qui semble signifier que ce métier qui est le mien, ne laisse pas entièrement vierge de tout sentiment personnel.

dimanche 19 mai 2013

Le ressenti, mon petit vieux, il n'y a que ça de vrai !


Lorsque l'indignation psittaciste s'allie à une faible capacité d'argumentation, on obtient parfois des résultats curieux. Le blogueur nommé Bembelly, Lyonnais d'origine africaine (je le précise car cela joue son rôle dans la bonne compréhension de ce qui va suivre), me fait l'honneur d'un très court billet, sur le mode “plus jamais ça”. L'objet de son vertueux courroux : un échange de commentaires chez Nicolas, entre le dit Nicolas et moi. À propos de l'adoption du mariage guignol, Nicolas avait écrit :

Dans 10, 20 ans…les jeunes homos n'auront plus honte de se balader main dans la main.

Trouvant son envolée plaisamment bisounoursienne, je lui réponds ceci :

C'est sûr ! D'ailleurs c'est déjà largement le cas dans toutes ces riantes cités qui entourent Paris ou bordent Marseille.

À quoi Nicolas ajoute :

Si votre dernier combat est de mettre l'homophobie sur le compte de l'immigration, je ne peux rien. J'ai bistro.

Il n'en faut pas plus pour enflammer notre bon Bembelly, qui rédige un court billet intitulé Homophobie : Riante pensée et dérapage de Didier Goux. Homophobie, dérapage : parfait, on sait que l'on vient de pénétrer dans la xylolangue (j'ai d'abord voulu tenter quelque chose avec xylophone, mais ça prêtait à confusion).  Voici le texte :

Décidément, la bêtise humaine prend des proportions obscènes. Homophobie, racisme ambiant, la récréation verbale continue... Dans le billet de Nicolas "MPT et bravo aux CC" sur la Validation du Mariage pour tous par le Conseil Constitutionnel, cette sortie de route de DidierGoux…

Là vient se placer la capture d'écran de mon court échange avec Nicolas, puis la conclusion de l'Indigné :

Bonne remarque de Jegoun car, par "riantes cités qui entourent Paris ou bordent Marseille", il faut lire "les banlieues".
Riantes cités?
Cette riante pensée de Didier Goux est à inscrire sur le mur des cons.

Pour commencer, je suis d'accord avec la punition : je préfère me retrouver sur le mur des cons que d'être affilié au syndicat de la magistrature. Sinon, je ne me serais même pas avisé de ce coup de papatte un peu balourd si Nicolas n'avait attiré mon attention sur lui. Lorsque j'arrive, les commentaires ont commencé. Bembelly, notamment, a ajouté ceci :

Ce que j’épingle (comme toi dans ton commentaire), c’est le trait facile entre banlieue et homophobie. S’ il n’a pas le courage de dénoncer les cathos et autres "casseurs de pédés", alors qu’on fiche la paix à ces riantes cités de banlieue.

Comme je suis un garçon sociable (bien qu'homophobe et dérapant), je me fends d'une petite réponse :

Je suis désolé, mais les bandes de cathos casseurs de pédés n’existent que dans vos fantasmes et vos préjugés. Alors que sont nombreux (et assez faciles à trouver si on le veut) les témoignages – évidemment anonymes – de jeunes Arabes ou noirs des banlieues, qui expliquent que, homosexuels, ils sont obligé [sic !] de quitter non seulement leur cité mais aussi la ville où elles se trouvent [re-sic !] pour pouvoir avoir des aventures amoureuses ou sexuelles. ils disent aussi vivre dans la terreur constante que leurs copains viennent à apprendre leur "différence".
Mais continuez à traquer l’homophobie chez les catholiques : c’est beaucoup plus satisfaisant pour l’esxprit [re-re-sic !] et c’est absolument sans risque.

C'est alors que je m'attire cette réponse, censée je suppose me clore le bec et que je trouve irrésistible de drôlerie involontaire :

Mes parents sont dans une riante cité de la région parisienne…
Et ne sont pas homophobes.

Donc, désormais, les jeunes habitants de ces cités pourront se promener main dans la main, et même se rouler des pelles devant le Lidl, en toute quiétude : les parents de M. Bembelly n'étant pas homophobes, ils n'ont absolument plus rien à craindre.

L'affaire ne s'arrête pas là car, un peu plus bas, un autre commentateur, David Burlot, pourtant estampillé gauchiste grand teint, se mêle de me donner plus ou moins raison, quant à l'empathie éprouvée par les jeunes-à-guillemets des banlieues vis-à-vis de l'homosexualité. Ce qui achève d'énerver notre fiston d'homophiles, dont le ton se fait abrupt :

Ce qui m’importe c’est ce que JE ressens.

Eh bien, voilà, il fallait commencer par là ! Peu importe la réalité, donc, peu importe que les catholiques n'organisent plus de ratonnades anti-homos depuis magnifique lurette, peu importe que ces mêmes homos soient en revanche traqués dans les banlieues allogènes, ainsi qu'ils le disent eux-mêmes. Ce qui compte, et qui compte seul, c'est le ressenti de M. Bembelly. Et aussi le fait que ses parents ne soient pas homophobes. Avec ça, on a bien progressé, la vérité ne devrait pas tarder à émerger du puits.

Ce que je trouve le plus amusant, c'est cette façon tout à fait décomplexée, ou plus probablement inconsciente, de faire avec un parfait naturel ce qu'on interdit à ses adversaires supposés de pratiquer eux-mêmes ; à savoir, ici, la fameuse généralisation, le très-honni amalgame.

Si, demain, une bande de quatre ou cinq jeunes-à-guillemets envoie un homosexuel – avéré ou simplement soupçonné – à l'hôpital, il faudra surtout bien se garder de la moindre allusion à une possible homophobie de ces “banlieue-là” et considérer ce déchaînement de violence haineuse comme un fait divers rigoureusement isolé et non susceptible de se reproduire, sauf par pure et très peu probable coïncidence.

Mais, de son côté, cela ne gêne absolument pas M. Bembelly de s'appuyer sur l'homophilie supposée de deux personnes (à savoir son père et sa mère) pour en conclure que les banlieues ne sont pas du tout homophobes et que dire qu'elles le sont constitue un grave “dérapage”.

On pourrait aussi bien se demander au nom de quelle mystérieuse solidarité (de classe ? Ethnique ? Géographique ? Autre ?), M. Bembelly se présente comme personnellement outragé – non seulement lui, mais ses parents, qu'il a la grossière habileté de mettre en avant, sans doute pour m'inciter au silence plus facilement – lorsque l'on fait, devant lui, une remarque critique, une allusion ironique à ce qui se passe dans les cités en question. Est-ce que, vivant dans un village normand, je monte sur mes grands chevaux (de labour) si l'on dit devant moi que les gens de la campagne sont des bouseux déculturés ? Ou que les journalistes sont des lopettes bien pensantes ? Ou que les gros ont tendance à bander mou ? Pourquoi, toujours ou presque, cette inébranlable obstination à “faire front”, quitte à défendre pour cela l'indéfendable ? 

samedi 18 mai 2013

Charles Trenet, de la fenêtre d'en haut


Je comptais bien profiter de ce 18 mai et des cent ans qu'il aurait eus pour parler encore un peu de Charles Trenet. Mais comme mon alter ego, Pierre-Marie Estir, a publié hier une sorte d'hommage au centenaire, dans un prestigieux hebdomadaire national, j'opte pour la solution du moindre effort en transportant son article ici. Voici donc :
 
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Ce 18 mai, samedi, Charles Trenet aurait eu cent ans ; plus exactement : il aura cent ans, puisqu’il n’est pas réellement mort, il fait juste semblant, depuis le mois de février 2001. Il l’avait d’ailleurs annoncé lui-même dès le début des années cinquante, dans cette chanson si célèbre qu’on en oublie qu’elle a été à l’origine écrite pour Jacqueline François :

Longtemps longtemps longtemps
Après que les poètes ont disparu
Leurs chansons courent encore dans les rues
[…]
Leur âme légère c’est leurs chansons
Qui rendent gais qui rendent tristes
Filles et garçons…

Très belle chanson, n’est-ce pas ? Qui a en plus le mérite de nous faire souvenir que la locution “après que” est suivie de l’indicatif et non du subjonctif : Trenet est, avec Brassens, le chanteur qui maîtrise le mieux la langue française…

Cette année 2013 marque en fait un double anniversaire : celui du centenaire de sa naissance, donc, mais aussi le 80ème de sa première apparition sur scène, flanqué de son acolyte d’alors, Johnny Hess. Ensemble ils écrivent et composent sur un coin de table leur premier tube ; mais ce sera pour Jean Sablon, grande vedette d’alors :

Vous qui passez sans me voir
Sans même me dire bonsoir
Sans me donner d’espoir…

Après quatre années de duo, c’en sera fini de Charles et Johnny : en 1937, Trenet se lance seul, et c’est tout de suite la renommée, puis la gloire. La lumière dans laquelle surgit alors le jeune Narbonnais de 24 ans est si vive qu’elle va avoir cet inconvénient de laisser dans l’ombre toute une part de lui-même, et qui n’est pas la moins intéressante, loin de là : le Trenet nostalgique, doux amer, le poète du temps qui file trop vite et de façon irrémédiable, le témoin d’un passé disparu. D’ordinaire, si l’on prononce le nom de Trenet, chacun voit aussitôt surgir devant ses yeux la silhouette bondissante d’une sorte de farfadet blond, chapeau en arrière, œillet à la boutonnière, chantant sur les rythmes d’un swing endiablé : Y a d’la joie ! Bonjour bonjour les hirondelles, ou bien : Boum ! quand notre cœur fait boum ! ou encore : Mam’zelle Clio ! Mam’zelle Clio ! Le premier jour je me rappelle C’était chez des amis idiots. Bref, on pense au fameux “fou chantant”.

Celui-là, le Trenet d’avant-guerre est inoubliable, bien sûr. Mais puisque nous parlons d’un vieux poète qui s’apprête à fêter ses cent ans, nous avons choisi de nous souvenir de l’autre, celui qui vient après ; celui qui, dès la fin des années quarante, s’aperçoit avec mélancolie que Le temps qui passe nous a volés.

Le plus souvent ces petits bijoux, qui arpentent avec regret le Boulevard du temps qui passe dont parlait Brassens, ne sont pas parmi les chansons les plus célèbres de Trenet. À l’exception de la toute première d’entre elles, enregistrée en 1942 (Charles n’a même pas trente ans !). Souvenez-vous de ce miracle :

Ce soir le vent qui frappe à ma porte
Me parle des amours mortes
Devant le feu qui s’éteint
[…]
Que reste-t-il de nos amours ?
Que reste-t-il de ces beaux jours ?
Une photo, vieille photo de ma jeunesse…

Le thème du temps qui se dilue, du passé qui s’évanouit, vient de faire son entrée dans l’univers du fou chantant et ne le quittera plus. Il ira même, c’est normal, en s’accentuant à mesure que les années le vieilliront. Certaines chansons qui brodent sur ce thème sont d’une tristesse poignante, presque “cafardeuse”. Mais comme Trenet est un poète délicat et pudique, l’auditeur un peu distrait, ou trop pressé, peut passer à côté de cette tristesse sans même la remarquer. Où un Jacques Brel va verser des torrents de larmes sur la Mathilde qu’est revenue ou se répandre en imprécations sur les femmes infidèles (voire leur pisser contre…), Charles Trenet, lui, se contente de nous murmurer qu’Il y a parfois des p’tits regrets qui viennent vous pincer le cœur, avant de s’éloigner sur la pointe des pieds. Ne pas s’appesantir, surtout ; n’insister jamais. Trenet aurait pu faire sien le merveilleux vers de Philippe Desportes, poète du XVIe siècle finissant : Le temps léger s’enfuit sans m’en apercevoir

À mesure que le temps léger s’enfuit, les êtres chers disparaissent, et la mort fait son entrée dans l’œuvre de Trenet. La sienne d’abord, dans la folle complainte de 1952 :

J’étais seul sur les routes
Sans dire ni oui ni non
Mon âme s’est dissoute
Poussière était mon nom

Près de trente ans plus tard, il évoquera celle de la seule femme qu’il ait jamais vraiment aimée, sa mère, survenue à la toute fin des années soixante-dix. Il consacrera une chanson à sa mémoire, dans son disque sorti en 1981, qui est une évocation nostalgique et tendre de leur passé commun :

Que veux-tu que je te dise
De Narbonne de ses églises
Maman ?

Là encore, la douleur et le chagrin refusent de s’étaler en place publique. Et, pour leur tenir la bride, le fils orphelin préfère se contenter d’évoquer les lieux bénis de l’enfance, arpentés avec sa mère encore jeune. Ces résurrections des lieux du passé sont nombreuses chez cet homme qui, pourtant, dans les interviews qu’il donnait, aimait à répéter que seul l’avenir l’intéressait – encore une façon de ne pas s’apitoyer sur soi-même, et surtout de refuser l’apitoiement des autres : question de savoir-vivre vis-à-vis du public. Mais dans l’œuvre, il en va tout autrement. Trenet évoque Le piano de la plage, ce vieux bonhomme qui jouait, plutôt mal, des airs dont les jeunes baigneurs d’alors ne savaient pas qu’ils allaient revenir les hanter toute leur vie. Ou bien ses Jeunes années, qui n’en finissent pas de courir dans la montagne, dans ces Pyrénées qui chantent au vent d’Espagne. Ou même simplement un Coin de rue :

Je m’souviens d’un coin de rue
Aujourd’hui disparu
Mon enfance jouait par là
Je m’souviens de cela
[…]
Tout ce qui fut et qui n’est plus
Tout mon vieux coin de rue

Je pourrais vous en citer vingt, trente autres, de ces chansons mélancoliques qui tentent de redonner vie à la poussière du temps. Il faudrait aussi parler de cette mystérieuse et troublante Hélène, petite fille (ou adolescente ?) qui fut sans doute le tout premier amour du jeune Charles, et qui revient hanter plusieurs de ses chansons, notamment cette Folle complainte que nous avons déjà évoquée, mais aussi Mon vieux ciné, autre œuvre à haut pouvoir nostalgique…

Mais ce serait sans doute une mauvaise idée : on prendrait le risque de tomber dans le pathos et les larmes, ce qui déplairait fort à l’artiste que nous avons voulu célébrer. Mieux vaut l’aider à souffler ses cent bougies, tout en se demandant comment un Charles Trenet peut bien s’y prendre pour occuper ses années d’éternité, ce qu’il fait de ses journées célestes. Ce qu’il fait ? Peut-être bien ceci :

Par la porte entrouverte
Il revoyait des souvenirs
Un fantôme une rue déserte
Un adieu qui va finir
Il revoyait toute sa vie
Et tout seul il rêvait d’un amour
D’impossibles retours…

Peut-être aussi qu’il s’amuse à nous contempler, nous autres, petits vivants temporaires, depuis sa Fenêtre d’en haut.

Pierre-Marie ELSTIR

jeudi 16 mai 2013

L'odieuse discrimination gagne du terrain et envahit nos campagnes !


Jusqu'où ira le racisme viscéral des Français blancs, ventripotents et ivres de bière ? De ce point de vue nous en arrivons, je n'ai pas peur de le dire, à des sommets dans la dégringolade. Voilà-t-il pas qu'un magasin provincial d'une chaîne de grande distribution spécialisée dans la bricolerie et le jardinement (je ne donne par son nom afin d'éviter que tous les réactionnaires à binette et à tournevis ne se précipitent chez eux pour y déposer leurs nauséabondes oboles), voilà-t-il pas, disais-je, que ces salauds se sont avisés de scotcher sur leurs caisses un avis rédigé comme suit (approximativement : je n'ai pas noté les termes exacts) :

Nous informons notre aimable clientèle que, désormais, 
nous n'accepterons plus les chèques émanant des départements 92, 93 et 95.

Suis-je le seul citoyen responsable de ce pays en perdition, et chatouillé sous la plante des pieds par ses démons les plus sombres, à s'indigner de l'inqualifiable discrimination dont est ici victime le Val-de-Marne ?

mercredi 15 mai 2013

Les îliens sont partout !


Ça ne pouvait pas ne pas y arriver, l'occasion était trop belle, forcément. J'apprends, sur un site que mon masochisme foncier m'incite à consulter souvent, que l'illustre Fondation du mémorial de la traite des noirs s'est empressée de porter plainte contre le député Vialatte, auteur d'un touite à la stupidité avérée, relevant de la grosse plaisanterie de comptoir en fin d'apéro.

On espère évidemment, pour ces braves gens faisant à la fois œuvre utile et flèche de tout bois (d'ébène, si j'osais…), qu'un juge impartial leur donnera raison et surtout leur accordera des dommages et intérêts substantiels. Là-dessus, ne se tenant plus de joie ni d'impatience, la fondation du mémorial part un peu en vrille et écrit : « En s’attaquant à la mémoire des millions de Français descendants d’esclaves, etc. » Diable ! il y aurait donc, en ville, des millions de Français descendants d'esclaves ? Mais qui sont-ils ? Où se cachent-elles, ces légions ? Comme, presque par définition, ces descendants-là ne peuvent pas nous arriver directement d'Afrique, on ne voit guère, pour répondre à la définition de la fondation du mémorial, que nos amis antillais, réunionnais et guyanais. Et ils seraient des millions ? Hé bé… je ne savais pas les îliens si prolifiques. À ce compte-là, les descendants des pêcheurs de Sein doivent être au moins deux cent cinquante mille, au bas mot. Quant à la diaspora de Saint-Pierre-et-Miquelon, je préfère n'y point songer.


mardi 14 mai 2013

Le grand perdant est un peu à la ramasse


Comme je m'étais payé sa fiole, hier, parce qu'il ne publiait pas de nouveau billet, Nicolas me rend la monnaie aujourd'hui. Je pourrais lui répondre avec la phrase rituelle des conducteurs de camionnette parisiens qui bloquent les rues étroites pendant vingt minutes : « Je travaille, moi, Monsieur ! » Mais ce serait un peu facile. J'ai pensé lui balancer la réponse récemment servie par Jean-Jacques Goldman à Johnny Hallyday et Céline Dion, qui lui réclamaient tous les deux de leur écrire un nouvel album : « Non, désolé, je n'ai plus d'idées… ». Mais ce ne serait pas la vérité.

La vérité est que j'ai commencé, hier soir, un billet consacré au Grand Perdant (The biggest Loser, en V.O.), une émission de téléréalité américaine dont je suis depuis deux mois la septième saison, avec une passion proche de l'hébétude et voisine de l'idiotie. Seulement, lorsque j'ai eu terminé le premier feuillet, approximativement, je me suis aperçu que je n'étais qu'à l'entrée de mon sujet et que tout cela menaçait d'être fort long. Comme, de plus, chemin faisant, je sirotais mon quatrième Ricard, dosé comme pour un légionnaire retour de Camerone, il m'a semblé que l'alcool n'allait pas tarder à l'emporter sur l'acuité intellectuelle, et j'ai sagement jugé qu'il était préférable de surseoir.

Et voilà pourquoi je n'ai rien publié aujourd'hui. Mais vous ne perdez rien pour attendre : les obèses vont débarquer d'un jour à l'autre.

lundi 13 mai 2013

L'honneur du 13 mai 1958 (exercice de grandiloquence)


Nul ne peut savoir quand, ni même si, on reverra en France des hommes de cette trempe, ceux que Lartéguy appelait les Centurions, et dont le général Massu fut sans doute l'un des plus beaux fleurons. Combat perdu d'avance, sursaut désespéré de l'honneur ? À l'évidence. Mais ce type de raidissement ultime trouve tout de même sa récompense, en ce que la cause de ces soldats reste dans les mémoires justement comme une cause ; il rappelle à voix ténue qu'une flamme peut être préservée, dans l'espoir qu'un jour, plus tard, on trouvera pour la faire grandir à nouveau de ces Français taillés dans le bois dont on nourrit les brasiers.

dimanche 12 mai 2013

À poil devant le polyprisu !


Grâce à l'esprit inventif et éclairé de M. Paul Kersey, digne quoique épisodique commentateur de ce blog, nous sommes en mesure d'annoncer d'ores et déjà que la vilaine et poussiéreuse polygamie a cessé de vivre et qu'elle sera désormais remplacée par le gentil et rutilant

mariage polymère.

En ce qui concerne les unions polypères, il semble que, pour le moment, leur revendication présente un caractère d'urgence moindre…

Le pétainisme de Sartre

Je reconnais volontiers que mon titre, aussi péremptoire que bref, est certainement abusif. Néanmoins, les lettres que Sartre soldat écrit presque quotidiennement à Simone de Beauvoir entre septembre 1939 et juin 1940, pour passionnantes qu'elles soient généralement, laissent transparaître une assez profonde indifférence politique chez le futur chantre de la littérature dite engagée. Pas une phrase sur le nazisme, sur le fascisme, sur le pacte germano-soviétique ; rien non plus à propos de l'agression et du démantèlement de la Pologne par Hitler et Staline conjointement. Tout se passe comme s'il ne s'agissait là que d'épiphénomènes, d'un bruit de fond fort ténu et incapable de l'atteindre. À partir du 10 juin 1940, les lettres s'espacent beaucoup, du fait des circonstances, et c'est fort dommage. Mais, jusqu'à cette date, le nom de Philippe Pétain n'est pas mentionné une seule fois. Dans ce cas, pourquoi évoquer un fumeux “pétainisme de Sartre” ? En raison d'une phrase, étrange, fortement incongrue, détachée de tout contexte, par laquelle il conclut sa lettre du 29 mai 1940. Alors que l'armée belge vient de capituler et que les lignes franco-britanniques sont enfoncées de partout, Sartre écrit ceci :

« Ce qui me frappe dans tout ça c'est l'espèce de chance historique de l'hitlérisme, qu'on dirait que les États méritent par une sorte de désagrégation profonde et irrémédiable. » (Lettres au Castor, II, Gallimard, p. 258.)

Mériter la déroute… Déliquescence des démocraties… Chance de l'hitlérisme… Il y a tout de même là, me semble-t-il – mais je ne suis pas historien, n'est-ce pas ? – un écho assez troublant de ce qu'était, au même moment, la vision maréchalienne de l'Étrange Défaite.

samedi 11 mai 2013

Oui au mariage pour tous, mais tous ensemble et en couronne !


Je viens de piquer la photo chez Corto, mais j'avais eu l'idée avant d'aller chez lui. (Le chœur antique : « Ouais, tu te défends bien vite, 'spèce de gros plagiaire mal assumé ! ») En découvrant cette réjouissante manifestation de post-modernisme, je me suis dit que, en effet, si nous voulions être vraiment cohérents avec nous-mêmes, obligation morale nous était faite de soutenir dans l'enthousiasme cette légitime revendication des Français-comme-les-autres de Mayotte. Et que nous devions le faire à haute voix, publiquement, en utilisant exactement les mêmes arguments qui ont si bien réussi aux partisans du mariage guignol :

yapadréson
jvoipapourcoi ;
– ça ne retirera rien aux autres ;
– il faut faire reculer la polygamophobie qui conduit direct à Auschwitz ;
– les enfants élevés par un père aimant et cinq mères attentionnées seront plus épanouis que ceux tabassés par un père pédophile et une mère alcoolique ;
– c'est un pas de géant vers l'égalité ;
– de toute façon ça existe déjà ;
– les néo-nazis sont contre, ça prouve bien que c'est super ;
– il faut en finir avec le modèle du couple duocentré ;
– de toute façon, le mariage c'est mort donc pourquoi ne pas l'accorder à tout le monde.

Pour rendre cette juste cause aussi populaire et festive que possible, il reste à trouver un nom à la chose, un truc bien vaselineux pour éviter les tiraillements et les grimaces, de même que le mariage gouino-pédé est miraculeusement devenu “pour tous” ; quelque chose comme plurimariage… polyunion… des mamans dès maintenant… ça mérite qu'on y réfléchisse.

En tout état de cause, il convient de commencer par éradiquer de partout – l'Académie française sera sommée d'y veiller – le singulier du mot “maman” (anciennement :  mère) et d'imposer le pluriel à tous ; ce, dès les livres d'apprentissage à la lecture des écoles primaires, en vertu du sain principe désormais admis jusque dans les campagnes les plus reculées : une bonne éducation de l'enfant vaut mieux qu'une pénible rééducation de l'adulte. 

C'est émouvant, non ? ce grand pas en avant que nous allons faire tous ensemble…

vendredi 10 mai 2013

Oui, il faut commémorer l'abolition de l'esclavage !

Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848

Eh bien, pour une fois, je ne suis pas d'accord avec mes petits camarades nauséabonds : je trouve que c'est une très bonne chose, que cette commémoration-là. Et, dans la mesure où elle permet de glorifier un peu l'Occident chrétien, je regrette même qu'on ne lui confère pas davantage d'éclat et de solennité. Parce qu'enfin qui a aboli l'esclavage partout où c'était possible, et notamment en Afrique ? Les négriers locaux qui vendaient leurs frères de forêts et de savanes à tous ceux qui avaient les moyens de les acheter ? Les Arabes qui venaient là faire leur marché depuis près d'un millénaire ? Non, c'est nous, les Européens blancs. C'est même l'un des aspects les plus positifs de la colonisation, qui pourtant n'en manque pas : au XIXe siècle, chaque fois qu'un nouveau territoire était conquis par l'une ou l'autre des nations européennes, l'esclavage y était aussitôt aboli, le commerce humain interdit et sévèrement réprimé.

C'est une chose dont nous devons nous honorer, et qu'il convient par conséquent de commémorer.

jeudi 9 mai 2013

Sartre, un moderne d'arrière-garde ?


L'impression qui naît, après lecture des quatre-vingts premières pages de L'Age de raison, est celle d'un écrivain finalement moins éloigné qu'il ne l'aurait voulu d'un Roger Martin du Gard, d'un Romain Rolland, voire d'un François Mauriac, malgré l'éreintement de ce dernier auquel Sartre s'est livré dans le premier volume de ses Situations. Penser que les Chemins de la liberté arrivent plus de dix ans après Céline, trente après Proust, qu'ils sont contemporains des premiers essais littéraires de Nathalie Sarraute et du Murphy de Samuel Beckett permet sans doute de mieux comprendre pour quelle raison Sartre a eu si tôt fait d'abandonner le roman. Lorsque, dès 1951, Jacques Laurent s'amusait à établir un parallèle entre Bourget et lui (Paul et Jean-Paul), il ne cédait peut-être pas seulement à des exagérations polémiques. Mais, pour le savoir, il faudrait relire Paul Bourget ; et la vie est bien courte, en ce qu'il reste d'elle…

mercredi 8 mai 2013

Le jour où il neigera des Belges…


Dans l'une des nombreuses lettres quotidiennes, celle du 27 novembre 1939, que Sartre écrivit à Simone de Beauvoir durant toute la “drôle de guerre”, alors qu'il était mobilisé en Alsace et elle demeurée à Paris, j'ai bloqué les roues sur cette phrase :

Donc, hier, il pleuvait des Suisses, pas de sondage.

Il m'a fallu plusieurs secondes pour réaliser que ce mot, “Suisses”, devait être compris en son sens catholique et romain ; et que, donc, ce jour-là, il était tombé des hallebardes. Je me suis tout de suite senti mieux.

Le Front de gauche c'est l'avenir !


mardi 7 mai 2013

Gay comme un mammifère marin à moustaches


Comme je m'y attendais plus ou moins en utilisant l'expression “pédé comme un phoque”, dans le billet précédant de peu celui-ci, un distingué commentateur me fait observer que la véritable comparaison serait “pédé comme un foc”, à cause d'une histoire de voile qui ne prendrait le vent que par derrière.

C'est non seulement controuvé mais tout à fait absurde. Les comparaisons de caractère ou de nature, chez l'homme, n'utilisent le plus souvent comme comparatifs que des animaux, ce qui doit nous venir, j'imagine, des bestiaires médiévaux, du Roman de Renart, etc. C'est ainsi que l'on est jaloux comme un tigre, fort comme un bœuf, méchant comme une teigne, rusé comme le renard, justement, ou malin comme le singe, féroce comme un loup ou bourru comme un ours. On peut aussi avoir un regard d'aigle  et une patience de fourmi, ce n'est pas incompatible. 

Certes, il y a quelques exceptions : tel homme sera dit solide comme un chêne ou tremblant comme roseau ; et il arrive que, nous rencontrant, Nicolas et moi finissions la soirée ronds comme des queues de pelle. Mais ces exceptions me semblent trop peu nombreuses pour infirmer la règle, et comparer un homme à une voile de navire est à ce titre hautement improbable. D'autant que, si c'était le cas, il faudrait bien que l'expression “pédé comme un foc” ait pris naissance dans l'univers des marins avant de se propager dans le monde terrien et d'y être déformé par ignorance. Or, d'après les fort modestes recherches auxquelles je viens de me livrer, on n'en trouve nulle trace dans la langue vernaculaire des gens de mer. En outre, comme disait Éole, il semble bien que le foc soit fort loin de prendre le vent exclusivement par derrière. Par conséquent, nous maintiendrons l'expression classique contre vents et marées. 

Au moment de conclure, je me demande soudain si les phoques, du fait de leurs dépravations stigmatisées par le langage populaire, n'auraient pas droit, eux aussi, au mariage pour tous. Et si les otaries sont gouines ou pas. Notre monde n'est qu'un vaste océans de questions sans réponses, dont les points d'interrogation sont les algues dansantes.

Fumer avec Nikos


Il y a moins d'un quart d'heure, au pied de l'immeuble qui m'abrite certains jours de la semaine, j'ai fumé ma cigarette en compagnie de Nikos Aliagas – qui fumait la sienne de son côté, un fucking iPhone vissé à l'oreille gauche (la main droite tenait la cigarette). Au début, je n'étais pas tout à fait certain qu'il s'agît réellement de lui, car il n'était pas comme dans la télé ; il avait l'air normal et ne souriait pas comme un ravi de la crèche dont on chatouille délicatement la base du scrotum avec une plume de koala. Lorsqu'il a eu coupé sa communication, j'ai failli lui dire qu'il ressemblait vachement à Nikos Aliagas. Il m'aurait sans doute répondu qu'il était Nikos Aliagas. Je lui aurais alors rétorqué – car je connais la rapidité foudroyante de mon esprit de rétorquation – que c'était sans doute pour cette raison qu'il lui ressemblait autant. Il aurait souri poliment. S'il n'avait pas souri, j'aurais immédiatement lancé un busard sur le Net pour faire croire à tout le monde qu'il est pédé comme un phoque. Mais en fait, on ne s'est rien dit. De toute façon, les filles auraient refusé de me croire, parce que ce serait vraiment trop affreux.