jeudi 30 avril 2015

Laissez-moi vous présenter Charlus, chien immigré de la deuxième génération


Le titre de ce billet n'est qu'un assemblage de mensonges. D'abord, le chiot d'un mois et demi que Catherine tient contre elle s'appelle Milos : il ne deviendra Charlus qu'en arrivant à la maison, le 13 mai prochain. Ensuite, né en France, mais de peu, il ne peut être dit “immigré”, en raison de cet absurde droit du sol qui est le nôtre. Enfin, sa mère étant arrivée des Antilles françaises, elle-même ne saurait être considérée comme immigrée ; donc son rejeton ne peut en aucun cas être de deuxième génération. Tout cela étant posé, passons aux quelques explications nécessaires.

Après les palinodies canines de ces derniers temps, dont je vous ai, sans crainte du ridicule, rendu compte ici ou, nous nous sommes finalement décidés à passer par le canal SPA pour déboucher dans les hauts fonds de l'adoption. Et nous sommes, internet aidant, tombés sur Milos qui, avec sa mère et ses nombreux frères et sœurs jumeaux, se trouvait attendre ses futurs maîtres dans une famille d'accueil, non loin de Gisors, c'est-à-dire à distance commode de chez nous. 

Comme métier, la mère de la portée faisait chienne errante en Guadeloupe. Un peu gourgandine aussi, puisqu'elle n'avait même pas un an lorsqu'elle s'est fait engrosser ; par un vagabond de son espèce, imagine-t-on. Elle a ensuite été recueillie (capturée ?) par une association locale de protection canine qui, travaillant en cheville avec la SPA de métropole, s'est chargée de la faire vacciner et de l'expédier ici. Et ce n'est qu'une fois sur le sol de France qu'elle a mis bas. 

Lorsque Catherine a pris contact, il restait deux chiots à adopter, dont le plus calme de la portée : c'est évidemment celui qui fut choisi, et dont nous sommes allés faire la connaissance ce matin. C'est vrai qu'il a l'air bien tranquille, le futur Charlus.

mercredi 29 avril 2015

Si j'avais les ailes d'un ange…


… je ne ferais pas comme Mike Brant.

mardi 28 avril 2015

Billet pour filles


J'ai choisi celui-ci pour exemple, mais il y en a beaucoup d'autres, exposés ici. Il s'agit de sacs-pour-filles – c'est-à-dire suffisamment vastes pour y fourrer toutes vos petites saloperies inutiles – fabriqués à la demande, dans les couleurs de votre choix (ou du choix de quelqu'un d'autre, si c'est quelqu'un d'autre qui passe commande). Que je trouve fort réussis – et quasiment donnés – ceux que j'ai pu voir et toucher en vrai n'a évidemment aucun rapport avec le fait qu'ils sont entièrement conçus et réalisés par les petits doigts industrieux artisanaux de ma sœur cadette et néanmoins haut-normande. Enfin, Mesdames, allez-y voir, et faites-vous votre idée. Si vous croisez Isabelle sur le blog, dites-lui que je compte l'appeler un de ces jours prochains.

vendredi 24 avril 2015

Putain, on s'est dégonflé !


Une fois tout pris en compte, la facture helvète allait finalement chercher dans les quatre ou cinq écrans plats de bonne taille ; on s'est dit que ce n'était vraiment pas possible d'être aussi con. Et on a annulé. À la place, c'est une bergère beauceronne qui fera son entrée à la maison dès le mois prochain : elle ressemblera à peu près à ça (photo du dessus), avant de devenir approximativement ça (photo du dessous). Ce qu'il y a de bien, c'est que les quelques deux mille euros ainsi économisés pourront être mis en réserve pour financer nos prochaines aberrations mentales, lesquelles ne manqueront pas de se produire avant peu.

En attendant, bouvier ou bergère, de Suisse ou de Beauce, la bestiole s'appellera toujours Oriane.


jeudi 23 avril 2015

Le nom du chien, nom d'un chien !


La décision était prise ; elle était ferme ; elle était irrévocable : jamais plus nous ne serions assez stupides pour acheter un chien de race, coûtant à peu près l'équivalent de trois téléviseurs à écran plat. Jamais. En foi de quoi, il y a moins d'une heure, Catherine a passé commande d'un grand bouvier suisse, à l'élevage du Loiret où, en 2006, nous avons acheté Bergotte (déjà pour le prix de trois téléviseurs à écran plat : on devrait se mettre revendeurs de téléviseurs à écran plat).

Le grand bouvier suisse est un chien ridicule, une sorte d'hybride, dans la mesure où il a la taille de Balbec et le poil ras de Bergotte. On a décidé de prendre une femelle, parce qu'elles sont, dans cette race (pardon pour ce mot honni), réputées plus douces et plus attachées à leur foyer, un peu comme nos mères et, plus généralement, les femmes d'avant 1970. La difficulté va être de trouver un nom proustien commençant par la lettre L. Je crois qu'on a un peu le temps d'y penser, et de consulter l'index de la Pléiade. Mais enfin, il faut y songer. 

Depuis que la décision a été prise et le Rubicon franchi, je regarde les deux chats d'un œil malicieux, tentant d'imaginer leur air effaré, voire scandalisé, lorsque le petit monstre débarquera de la voiture.

Les avantages indéniables de la gueule de bois


À Nicolas.

Les Mémoires de Roger Moore (First éditions), parus il y a quelques jours, et lus par devoir professionnel, sont un entassement paresseux d'anecdotes le plus souvent sans intérêt, balancées en vrac dans les 260 pages du livre. En fait, il s'agit d'un gigantesque name dropping, d'où il ressort que Mr Moore est fort satisfait d'avoir pu fréquenter tant de gens célèbres. Il faut cependant lui reconnaître un certain humour, évidemment so british, et aussi de nous offrir tout de même quelques petits paragraphes divertissants ; tel ce mot de Frank Sinatra, à propos de la gueule de bois : 

« Je plains les gens qui ne boivent pas. Quand ils se réveillent le matin, ils savent qu'ils ne se sentiront pas mieux de toute la journée. »

mercredi 22 avril 2015

Dorham se trompe


Ce matin, Dorham fait un billet dans lequel il évoque Richard Anthony. Il se moque gentiment de lui parce qu'il était gros : ce n'est pas très gentil. Gros, il l'était en effet – et doit l'être encore, même si plus pour très longtemps –, mais ce n'est pas là-dessus que Dorham se trompe. Il commet l'erreur de la plupart des gens pour qui un personnage public n'existe que s'il passe à la télévision au moins une fois par semaine : les autres, comme notre Richard, seraient donc des has been. Il faudrait savoir ce qu'on entend par là exactement ; mais enfin, si je me cantonne à une traduction littérale, l'expression semble désigner des gens qui ont été ; dans le cas présent, accoler l'étiquette à M. Anthony signifierait qu'il a été chanteur, dans un passé relativement lointain et indifférencié (avant la naissance de M. Dorham, en gros).

Rien n'est plus faux. Comme un certain nombre d'autres disparus-des-écrans, Richard Anthony n'a jamais cessé d'être chanteur, de vendre des disques, de donner une centaine de récitals par an, devant des salles pleines et enthousiastes, etc. Seulement, on ne parlait plus de lui dans les journaux et revues nationaux, il ne passait en effet plus à la télévision et, au lieu de se produire au Palais des Sports de Lyon, il était plutôt à l'affiche de la salle des fêtes de Vouziers (Ardennes). Les gens du cru se voyaient annoncer l'événement par cinquante lignes et une petite photo dans leur quotidien local, ils découvraient quelques affiches désuètes sur leurs murs, et c'était tout. Il n'empêche que, le soir du spectacle, la salle était systématiquement pleine (si elle ne l'était pas, c'est qu'il y avait un match de football au stade d'à côté). Il en est longtemps allé de même pour des has been tels que Dave, C Jérôme, et d'autres, qui ont toujours vécu fort confortablement de leur petite industrie mélodique, alors même qu'on les croyait, que Dorham aurait pu les croire, en maison de retraite, voire au cimetière.

Il y a longtemps que vous n'avez vu Adamo à la télévision ? Oui, hein ? Pour autant, je me contenterais très volontiers du dixième de ce peut lui rapporter le métier qu'il continue d'exercer.

Les has been se portent bien, ne soyez pas inquiets pour eux. À part Richard Anthony, tout de même.

lundi 20 avril 2015

Le fantôme insatisfait de la rue Lepic


Pourquoi ? Qu'est-ce qui m'arrive ? Par quelle alchimie me trouvé-je désarmé, hébété, au bord des larmes même, disons-le au risque du ridicule, dès que je vois des photos de rues et de gens, de ces gens qui posent sagement, et fiers, pour le photographe de 1900 ou 1920, ces époques que je n'ai évidemment pas connues et dont personne ne m'a jamais parlé, ou à peine et quand je n'étais pas en âge de les entendre ? D'où viennent ces effusions que je voudrais laisser aller vers tous ces morts ? Dans les romans et les films de science-fiction, ceux qui sont propulsés dans le futur se souviennent toujours de leur époque d'origine. Et si ce n'était pas le cas ? Si j'avais été cet homme au canotier vers qui s'avance une femme en cheveux, mais que je n'en sache plus rien ? Si je pensais réellement être le fils de Christiane et Daniel Goux, alors que mon âge est celui de leurs grands-parents ? Cela expliquerait bien des choses, n'est-ce pas ? Cette fenêtre de proue, au volet à demi fermé, au-dessus de la boutique de vins et liqueurs, c'était peut-être ma chambre ? La rue Lepic, bon sang ! Le jeune Léautaud y passait, pour rejoindre l'étude Lemarchis où il était clerc : je le connaissais peut-être ? Pas Proust, non, évidemment : que serait-il venu traîner dans ce quartier, sauf s'il avait suivi un peu trop longtemps une gouape en casquette et à la mèche sur l'œil ? Est-ce que j'y allais traîner le soir, dans ces caf'conc' que j'évoquais hier ? Ce serait assez mon genre, oui : on peut sauter d'une époque à l'autre, on ne doit pas changer à ce point. J'ai peut-être été amoureux d'Eugénie ? Je me serais moqué du nabot Toulouse, un soir de forte libation ? Est-ce que j'ai connu le grand effondrement d'août 14 ? Ou bien l'ange m'a-t-il soustrait avant, pour me transporter dans un berceau du mois de mars, 42 ans plus tard ? Et la femme en cheveux, elle m'a regretté longtemps ? Est-ce qu'elle est morte centenaire, vers 1980, pensant encore un peu à moi, quand ma seconde existence amorçait déjà sa descente ?

dimanche 19 avril 2015

70 ans de Café-Concert



Le livre m'est arrivé par l'attention d'un ami cher, en même temps que deux autres – deux autres livres – dont nous reparlerons peut-être. Son titre est celui que j'ai pris pour ce billet ; il est sous-titré : 1848 – 1918 : belle époque qui se termine mal, comme l'on sait. J'avais lu, il y a longtemps, un livre de Pierre-Robert Leclercq consacré à Bernanos ; il est peut-être encore ici, enfoui quelque part. Celui-ci, que publient les Belles Lettres, est évidemment plus léger, mais il n'est pas moins érudit. Et ce fut une lecture parfaite pour un dimanche paresseux et ensoleillé. J'ai évidemment appris des tonnes de choses, puisque je ne savais rien, en dehors des quelques noms d'artistes qui traînent encore dans ma mémoire et dans les vôtres. J'ignorais par exemple que les musicos, dont notre fatuité fait une abréviation moderne, existaient déjà à la fin du Premier Empire, qu'ils étaient dits aussi goualeurs et goualeuses, et qu'ils pouvaient être itinérants ou attachés à un lieu fixe dans un quartier donné. Voici, en quelque sorte, l'acte de naissance des futurs caf'-conc' :

« […] un soir de l'hiver 1729, chez Landelle, naît la Société du Caveau. Le lieu a imposé le nom. Le règlement qui acompagne la création est sans surprise : à chaque réunion, faire preuve de son amour du vin et des femmes ; avoir composé une chanson et la chanter ; toute œuvre jugée médiocre expose au châtiment suprême, boire un verre d'eau ; chacun paie son dîner. Il n'est pas stipulé que la présence des femmes n'est pas souhaitée. Cela va de soi. »

Et l'on voit tout au long de ces 180 pages défiler ces grands disparus dont les noms seuls, parfois aussi un titre sauvé de l'oubli, surnagent encore : Dranem, Georgius, Eugénie Buffet, Fragson, Montéhus et, bien entendu, Félix Mayol, qui fut le dernier grand et dont je vous ai fait, pour commencer, visiter la cabane Bambou afin de vous mettre un peu en joie ; Mayol dont Proust écrivait, dans une lettre à Reynaldo Hahn : « Si je pensais pouvoir pour une somme modique le faire venir et lui faire chanter Viens, Poupoule ! et Un ange du pavé je le ferais. Il a quelque chose de Cléo qui dansait en marchant. » On imagine très bien Mayol se dandinant et se livrant à ses chatteries au pied du petit lit de fer, dans la chambre tapissée de liège…

Mais c'est assez parlé. Je vous laisse avec Eugénie Buffet. Sois bonne, ô ma chère inconnue


vendredi 17 avril 2015

Salle d'attente


Quand vous aurez une ou deux heures à passer dans une salle d'attente d'hôpital (ce qui arrive, vous verrez), surtout si votre rendez-vous est avec un chirurgien indélicat, non dans sa pratique mais dans ses rapports moraux avec autrui – comprenez, je vous prie : qui est toujours infernalement en retard sur l'horaire qu'il a lui-même fixé –, je vous conseille, ce jour-là, de vous munir d'un volume de Léautaud. Écartez d'emblée In Memoriam : les quatre-vingt mille signes de cette merveille risqueraient de ne pas vous mener au bout de votre attente.  Choisissez plutôt Passe-Temps, non seulement en raison de son titre, bien qu'il soit approprié à votre épreuve : dans cet esprit, Propos d'un jour n'est pas mal non plus ; mais restons-en à Passe-Temps.

Prenez-le car les courts textes qui le composent vous aideront à endurer la promiscuité de vos contemporains, punis le même jour que vous. Vous supporterez avec plus d'indulgence la vue de ce quinquagénaire en bermuda (cette horreur, cette négation de toute civilisation, s'écrit-elle au singulier ou au pluriel ?) et baskets, baise-en-ville en simili-cuir reposant sur les génitoires assoupis, chaînette dorée au cou, qui tient à deux mains son Charlie-Hebdo éployé, ce qui l'empêche d'en mettre une devant sa bouche quand il bâille. Sa petite moustache grise, taillée à la française, doit l'aider, on l'espère, à aborder joyeusement les petits jeunes gens aux terrasses estivales.

Les railleries de Léautaud vous feront oublier – presque – les ron-ron de joie fabriquée qui tombent du téléviseur accroché juste sous le plafond, trop haut pour être atteint par des mains humaines, des fois qu'un patient, rendu furieux par l'apparente immobilité du temps, décide de se dédommager en quittant la clinique l'écran plat sous le bras. Puis, quand l'homme de l'art appellera enfin votre nom, que vous reconnaîtrez à peine de l'avoir tant attendu, vous aurez eu la très belle consolation de faire, avant, la connaissance de Mme Cantili.

dimanche 12 avril 2015

Soutenir Léautaud tant qu'il n'est pas trop tard

La photographie est de qui vous savez.

Il est temps que les foules se lèvent et poussent un grand cri d'indignation, afin que Paul Léautaud et son journal fassent enfin leur entrée en ce palais de la Pléiade, seul digne d'eux. Que les grands de ce monde ne se bercent point d'illusions : il ne s'agit nullement d'une prière mais d'une exigence. Il faut donc que nous soyons aussi nombreux que possible à signer cette pétition. Dès que nous atteindrons la trentaine, nous nous scinderons en deux groupes, qui déferleront simultanément sur le boulevard Berthier et la rue Sébastien-Bottin, où sont sis les sièges de la SPA et de l'épicerie Gallimard. Et nous les ferons plier ou bien rompre.

samedi 11 avril 2015

Le déshonneur de la Pléiade


Dans six jours, on pourra donc lire les immortels chefs-d'œuvre de Jean d'Ormesson dans la Bibliothèque de la Pléiade. Les boutiquiers qui président aux destinées de la maison Gallimard ont dû s'aviser qu'il y avait là un peu de monnaie à se faire, pour parler aussi vulgairement qu'ils doivent penser. 

Pendant ce temps, le Journal littéraire de Paul Léautaud n'est plus disponible que sur les sites de vente d'occasion, le Mercure de France – qui appartient aux boutiquiers déjà évoqués – ne jugeant pas utile de refaire une édition de ce monument, ce qui devrait les faire violir de honte. C'est évidemment Léautaud qui aurait toute légitimité à entrer dans la Pléiade, et non ce pauvre d'Ormesson, dont les livres tomberont en poussière le jour même où on le portera en terre, avec tous les honneurs qui ne lui sont aucunement dus. Car ceux qui ont lu les quelque sept mille pages de l'édition en trois volumes du Mercure ont été comme moi irrités, frustrés par ces lignes de pointillés remplaçant des passages que Léautaud lui-même jugeait, à son époque, “trop vifs pour être imprimés” ; et aussi par ces gens dont les noms sont remplacés par des initiales. Or, 59 ans ont passé depuis la mort de Léautaud (comme il a replié son parapluie trois semaines avant que j'ouvre le mien, je ne me trompe jamais dans le calcul…), les personnes dont il parle le sont aussi, mortes, et il serait grand temps de donner enfin une édition complète du Journal littéraire. Cela dépend de trois “personnes” : la bibliothèque qui détient le manuscrit complet du journal, la maison Gallimard qui en possède les droits par le biais du Mercure de France, et la SPA, puisque c'est cette société dont Léautaud a fait son ayant-droit, si c'est bien le terme correct ; son héritière, si l'on préfère. On ne voit pas ce qui pourrait empêcher ces trois entités de se mettre d'accord pour publier rapidement l'édition définitive que les léotaldiens attendent ; à part, peut-être, la conjonction de l'incurie des uns avec l'indifférence des autres.

jeudi 9 avril 2015

Trente ans de dîners en ville

Gabriel-Louis Pringué est debout, une tasse à la main.

Revenons donc sur ces 30 ans de dîners en ville, qui assureront l'immortalité à Gabriel-Louis Pringué, n'en doutons pas. J'ai dit que c'était Jean-François Revel qui m'avait donné l'envie de ce livre et de son auteur, par la manière fortement ironique dont il en parle, au détour d'une page de son Sur Proust, republié à la fin des années quatre-vingt par Grasset dans ses Cahiers Rouges. Voici un petit extrait de ce qu'il en dit :

« Pringué croit au “monde”, à l'image parfaite que s'en faisaient en 1900 ceux qui n'y allaient jamais. Tout en y allant, c'est comme eux qu'il le voit. Pour lui, les salons sont peuplés de femmes “diablement» jolies (c'est son adverbe) ; les reines ont toujours un port de reine ; les auteurs à la mode font leur entrée en “lançant trois ou quatre mots d'esprit”, tout comme dans l'imagination des enfants un héros du Far West ne se déplace qu'en tirant des coups de pistolet. »

Ce qui est piquant, dans le livre de Pringué, c'est qu'il ne se contente pas d'affirmer que toutes les duchesses et les marquises qu'il fréquente ont un sens de la répartie à assommer un bœuf : il en donne des exemples ; et c'est le décalage entre son admiration éperdue et la nullité de ce qu'il cite qui produit un irrésistible effet comique. Les plus réjouissantes de ces citations sont celles qui émanent de “grands esprits”, voire de “profonds philosophes” – abondamment titrés, il va sans dire. Prenons par exemple Mme Manœuvrier-Duquesne, dont l'esprit est évidemment “étincelant” et la beauté “parfaite”. Voici ce qui sort de cet esprit : « La nature est un grand livre ouvert sur lequel chacun se penche mais qui est rédigé en caractères secrets. » Ou bien ceci : « Le souvenir erre souriant parmi les deuils dans cette union de la vie et de la mort qui accompagne nos pas. » Ou encore : « L'amour est la seule richesse qui ait cours à la fois dans le temps et dans l'éternité. » Autant de pomposités creuses qui laissent pantelant ce bon Gabriel-Louis.

Du reste, son livre n'est qu'un interminable exercice d'adoration de près de 400 pages. Adoration pour la duchesse de Clermont-Tonnerre, entre autres, laquelle « délivrait des sentences de haute philosophie ». Vous voulez quelques échantillons de pensée de cet Aristote à corset ? Voici : « On ne comprend vraiment la vie qu'au moment de la quitter. » « En général, on n'aime jamais qu'à contretemps. » « L'expérience est un fruit que l'on ne cueille que mûri et inutilisable. »

La comtesse de Durfort, elle aussi, produit des phrases de haute philosophie. Gabriel-Louis nous en prodigue une : « Vivons au jour le jour, chaque heure est une voyageuse qui vient timidement à nous. Recevons-la avec des brassées de rose et des sourires. Cela sera mieux pour elle et pour nous. »

Fort heureusement, pour ce qui est de sa postérité, Gabriel-Louis peut compter sur l'intempérance fleurie de son style. Lorsqu'on écrit avec le petit doigt en l'air, cela donne des choses comme celles-ci :

« Les épaules de Mme de Montebello, dignes de la sculpture antique, sortaient de corsets intelligemment lacés par de patientes caméristes de tout repos. »

« Majestueuses, sur un rythme lent, passaient les belles duchesses, […] et l'effervescente Marie-Thérèse, duchesse d'Uzès, dont on sentait bondir le sang russe à travers la steppe de son esprit étincelant et fantasque. »

« L'une d'elles, personnage redoutable, […] était une sorte de couleuvre se glissant partout et sans arrêt avec des instincts de pieuvre […]. »

« […], le silence mystique des murs étant la plus généreuse des éloquences. »

« Le marquis de Castellane amusait son dilettantisme en des gestes de porcelaine de Saxe. »

« Ce ménage évoluait dans l'auréole d'une extrême politesse. »

Et maintenant que vous savez qu'une couleuvre peut avoir des instincts de pieuvre et que la politesse laisse des auréoles, vous pouvez reprendre une activité normale.

mercredi 8 avril 2015

Au Guy l'an neuf


J'avais totalement oublié ce billet. C'est normal : vu l'heure à laquelle il a été publié et son style pâteux, l'auteur devait en être assez considérablement alcoolisé, supposé-je. Apparemment, il n'a pas échappé à M. Guy Birenbaum (j'écris son nom en entier pour lui faire plaisir, car il précise qu'il dispose de toutes les “alertes Google” pour être averti dès que quelqu'un, dans le monde, se penche sur son cas), puisque, grâce à lui, à ce billet, j'ai les honneurs de son dernier livre, appelé sans doute aux plus hautes destinées et aux plus forts tirages. C'est Nicolas qui me le signale. Voici ce qu'il m'envoie, c'est un extrait du livre en question :


Nicolas me précise qu'il n'a pas (encore…) lu le livre de Birenbaum, mais qu'«on» lui a obligeamment envoyé cette “capture”. Nicolas a donc des amis attentionnés qui aimeraient que ses yeux se dessillent et qu'il se rende enfin compte à quel point je suis une ordure infréquentable. Quelque chose me dit qu'ils ont encore du boulot à fournir.

J'ai donc relu ce billet oublié, ainsi que les 47 commentaires qui l'accompagnent. En dehors du style discutable de l'homme pris de boisson, je n'en renie rien : mon opinion concernant Guy Birenbaum n'a pas changé, non plus que celle que j'ai de Claude Askolovitch. (Il y a quelque temps, ce même Nicolas me signalait que Birenbaum me détestait, ce qui m'avait fait bien plaisir : on n'a pas tous les jours l'occasion d'exister dans l'esprit d'un prince des médias.) Et je redis que ces gens, et d'autres avec eux, se feront égorger avec le sourire (sauf peut-être sur la fin), un de ces jours. Je crains d'ailleurs pour eux que ce jour se rapproche, et je m'étonne qu'ils ne le sentent point.

L'extermination que l'on sait a eu pour effet secondaire de rendre les Juifs fiers et durs : c'est ainsi que je les aime. Israël prouve chaque jour que l'homme n'a pas encore abdiqué totalement son existence.  Les carpettes birenbaumesques et askolovitchiennes me rendent triste et inquiet.

mardi 7 avril 2015

Autour de deux phrases


Dans la même double page (216 – 217) des Mémoires d'Hélie de Saint Marc, sous-titrés Les Champs de braise (Perrin, collection Tempus), je tombe sur deux phrases qu'il rapporte, dont la capacité de résonance me semble indéniable. La première lui est dite par un journaliste ; nous sommes en 1957, au plus fort de la bataille d'Alger. Le journaliste, qui n'est pas nommé, lui dit ceci : « Saint Marc, le pire est à craindre. Les démocraties n'ont jamais su combattre les ennemis de la démocratie. » Il semble, en effet, qu'en près de soixante ans elles n'ont toujours pas appris à le faire.

Ensuite, Saint Marc se met à parler de la torture, laquelle vient de faire en Algérie son apparition, sinon officielle, du moins admise. Il précise d'emblée qu'il n'a pas eu à affronter le terrible dilemme de ses camarades, officiers de la Légion comme lui, puisque, à cette période, il avait été détaché de son unité combattante pour entrer au cabinet du général Massu. Par conséquent, il s'interdit de porter un jugement sur ceux qui durent y faire face, de “prendre la pose du chevalier blanc”. C'est alors qu'il cite cette phrase de Saint-Exupéry : « Puisque je suis l'un d'eux, je ne renierai jamais les miens quoi qu'ils fassent. Je ne parlerai jamais contre eux devant autrui. S'il est possible de prendre leur défense, je les défendrai. S'ils sont couverts de honte, j'enfermerai cette honte dans mon cœur et je me tairai. Quoi que je pense alors d'eux, je ne servirai jamais de témoin à charge. »

Ne pas prendre la pose du chevalier blanc, refuser d'être témoin à charge, ne jamais renier les siens, accepter sa propre part de leur honte et les défendre malgré tout : combien aujourd'hui, et je ne veux nommer personne, sont enragés de faire exactement l'inverse ? 

Ces Mémoires de Saint Marc sont un livre essentiel, douloureux et revigorant tout en même temps ; un livre à lire debout, si je puis me permettre ce petit accès de grandiloquence. Comment, après cela, revenir aux dîners en ville de ce pauvre Pringué ? Il faudra bien laisser passer quelques jours.

lundi 6 avril 2015

Pour saluer Gabriel-Louis, le ravi du Faubourg


Il y avait longtemps que je n'avais lu quelque chose d'aussi involontairement cocasse que ces 30 ans de dîners en ville de Gabriel-Louis Pringué, dont Revel puis Galtier-Boissière m'avaient successivement donné l'envie. L'admiration naïve, pour ne pas dire “simple”, qu'il porte à tout ce qui est du “gratin”, sans le moindre discernement, ni le plus léger doute, les hyperboles alambiquées que lui inspire sa vénération pour cette noblesse par qui il n'en revient pas d'être reçu, tout cela donne une puissance comique dévastatrice à son livre. Il est si outré en sa latrie, si émerveillé devant des “mots” d'une consternante platitude, que l'on finirait par croire que son but secret était en réalité de déconsidérer ce Faubourg Saint-Germain qu'il livre en pâture à notre esprit un tantinet plus critique que le sien. Je me réjouis déjà du billet plus approfondi que je compte lui consacrer d'ici un jour ou deux.

samedi 4 avril 2015

L'effondrement de la civilisation commence peut-être par là

Une fois n'est pas coutume, je crois : je vais me vanter. Par des chemins tortueux qu'il n'est pas besoin de retracer, j'ai vu arriver un jour le manuscrit de ce livre dans ma boîte aux lettres. Je n'en étais pas spécialement ravi : je déteste qu'on me prenne comme lecteur témoin, comme référence, comme ce que vous voudrez. Cela me charge d'une responsabilité qui outrepasse largement le poids que mes épaules sont à même de supporter, et je fais mienne la position inébranlable de Paul Léautaud, qui peut se résumer ainsi : que chacun se démerde.

Néanmoins, avec des soupirs navrés dont mon épouse doit se souvenir encore, j'ai ouvert ce paquet de feuilles sorties d'imprimante, qui ne portait pas de titre encore, si je me souviens bien ; ou alors un autre, que j'ai oublié. La première chose qui m'a frappé, après trois ou quatre pages, fut la parfaite et sobre élégance de la langue dans laquelle ce “paquet” était écrit : dans ce monde où un blogueur passe pour un intellectuel raffiné dès lors qu'il est capable d'accorder un participe passé, c'était une bouffée d'air, que ce livre. Maintenant, il s'agissait de se pencher sur ce que disait l'auteur : c'était une nouvelle épreuve pour moi, qui ne mets jamais les pieds dans une bibliothèque, qui ne l'ai plus jamais fait depuis cette époque très lointaine de ma jeunesse où celle d'Orléans était installée “de toujours” dans l'ancien évêché, dont je garde des souvenirs pieux, déjà évoqués ici même

Or, il se trouva que je lus ces deux ou trois cents pages dactylographiées avec un intérêt croissant à chaque chapitre. En tant que “réactionnaire patenté et indécrottable”, je me doutais bien que les bibliothèques actuelles ne ressemblaient plus que de loin à celles que j'avais connues ; je savais qu'elles montraient une fâcheuse tendance à muter pour devenir médiathèques, voire ludothèques ; j'ignorais qu'elles fussent à ce point agonisantes, et c'était un homme y ayant consacré toute sa vie professionnelle, jeune encore, qui me le démontrait, sans excès, sans cris, sans tambourinages excessifs, ce qui rendait sa démonstration encore plus glaçante. 

Bien que toujours peu confiant dans mon propre jugement, j'expédiai dare-dare cette grenade dégoupillée à Michel Desgranges ; il me fit la grâce de se trouver d'accord avec moi et fit jouer ses relations occultes pour que le livre fût mis à la disposition de tous, ce qu'il est désormais.

Si vous faites partie de ceux qui pensent que le niveau monte, que l'humanité de demain sera forcément mieux, meilleure, plus douce, intelligente, cultivée, etc., que celle d'aujourd'hui, dispensez-vous d'acheter ce livre : vous risqueriez d'avoir l'impression d'un complot contre votre vision rose-bonbon de vous-même. En revanche, si vous avez envie de savoir de quelle façon votre monde s'assombrit, bascule, renonce à lui-même, alors lisez-le. Vous vous ferez de la peine, à cause de ce qu'on vous y dit, et plaisir en découvrant que des jeunes gens de France savent encore manier l'outil qu'on leur a donné en partage : leur langue ; et qu'ils espèrent toujours sauver ce que vous (nous…) avez laissé partir à vau-l'eau.

Un reproche ? Un bémol ? Oui, tout de même, un : ce pseudonyme que l'auteur a cru devoir accepter. Virgile Stark, franchement… Pourquoi pas Monsieur Spock ou Captain America ? Du reste, il n'a pas entièrement tort de s'être dissimulé derrière ce paravent : notre belle société, qui a de la liberté plein la bouche, la supporte de moins en moins, et celui qui dit la vérité court de plus en plus le risque d'être exécuté.

mercredi 1 avril 2015

L'ineffaçable différence entre elles et nous


Lorsque l'aberrante indifférenciation sexuelle actuellement à l'œuvre sera parvenue à son terme, quand les femmes n'auront plus ni seins ni cellulite, que les hommes auront été amputés des gonades et du cerveau, que tout le monde sera vêtu en Charlie de carnaval, il restera toujours un moyen de distinguer les mâles des femelles de l'espèce. Il suffira pour cela de se poster dans un hall d'entreprise muni de portillons à badge et d'observer. Tous les post-humains qui se présenteront au tourniquet leur petit rectangle de plastique déjà en main auront été les hommes ; ceux qui, obstruant le passage, passeront cinq minutes à fouiller toutes leurs poches dans le mince espoir de retrouver leur sésame seront des souvenirs nostalgiques des anciennes femmes.